Décès d’Alexandre Rochal

Alexandre Rochal, le rédacteur en chef de la revue mythique 64, est mort d’un cancer du pancréas à l’âge de 71 ans. C’est toute une mémoire des échecs russes et soviétiques qui disparaît. Rochal connaissait tous les joueurs d’échecs, les anciens comme les jeunes ; il avait débuté sa carrière en tant qu’entraîneur et s’était fait connaître du monde occidental lors du match Karpov-Kortchnoï de Baguio 1978 où il était dans la délégation de Karpov.

 

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Son bébé, c’était 64, le mensuel échiquéen. Quand Karpov était champion du monde et officiellement rédacteur en chef de la revue, c’était en fait Rochal qui faisait le travail. La distribution de ce journal était gigantesque dans l’URSS. Encore fallait-il s’occuper de la logistique de distribution que Rochal m’expliqua un jour en détail. Kakfa au pays des travailleurs ! En 1992, après la crise politique, la revue est interrompue.medium_verso-1988.jpg medium_recto_1988.2.jpgMais Rochal rebondit ; c’est d’ailleurs un trait caractéristique de ce personnage incroyable. Il a toujours su s’en sortir même quand il a été blâmé par les autorités.medium_1723-brief.jpg

Juif russe, d’un père fusillé quand il avait un an entre autres parce qu’il avait écrit un acte de la constitution de l’État d’Israël et d’une mère qui a passé dix-huit en camp (il ne l’a connue qu’à neuf ans), Rochal avait toujours le moral. Et surtout ce sens de l’humour. Il paraissait aussi très sérieux, car naturellement, son journal était le meilleur. Et il ne fallait pas le contredire !

 

J’ai connu Rochal pour la première fois en 1985. À l’époque, Libération m’avait envoyé spécialement pour dix jours afin de rendre compte du deuxième match entre Karpov et Kasparov à Moscou. Il fallait écrire sur des sujets annexes ; je suis allé voir Rochal. Il n’était qu’une signature et un nom. J’ai vu l’homme. Il avait déjà son port de tête en hauteur, ce qui en imposait. Rochal ne parlait pas alors anglais et moi pas le russe ; la conversation se fit alors difficilement en allemand. Et ce fut toutefois passionnant. À partir de ces années-là, nous nous croisâmes dans toutes les rencontres internationales, championnat du monde, tournoi des Candidats, tournoi GMA etc.

 

Rochal adorait taquiner selon le dicton « Il y a toujours un huitième de vérité dans un mensonge ». Par exemple, quand je lui montrai les changements dans Europe Échecs à l’époque où j’en étais le rédacteur en chef, Rochal répondait : « Very, very good paper ». Manière de dire qu’EE avait de la couleur (64 est en noir et blanc) mais rien à l’intérieur. Son journal était forcément le meilleur. De fait, quand on vit dans un pays où poussent les meilleurs joueurs du monde, beaucoup de choses viennent naturellement.

Mais Rochal était aussi un animateur. Il avait repris le flambeau de l’ « Oscar » qui récompensait le meilleur joueur de l’année. Et quand je n’envoyais pas mon vote, Rochal me rappelait dix fois au téléphone jusqu’à ce que je craque. Rochal était une bête de travail et voulait populariser le jeu par tous les moyens.medium_Roshal.jpg
À partir de 1996, je suis souvent allé ou passé par Moscou. Et presque à chaque fois, je passai par la rédaction de 64, toute proche du Kremlin. Quand Rochal en avait le temps, il y avait l’inévitable séance de blitz, histoire de démontrer qu’en dehors de Joël Lautier et de Philidor, aucun joueur français ne trouvait grâce à ses yeux. Rochal prenait toujours le temps de recevoir ses visiteurs dans « son » journal… qui lui appartenait désormais. Son bureau type acajou avec un grand siège s’apparentait à celui d’un directeur de chaîne de télé. Sans même lire telle ou telle langue, il repérait dans les revues spécialisées les bonnes idées.

 

En anglais :

Une biographie ainsi que de nombreuses photos avec les meilleurs joueurs du monde.

En russe : Le mot du journaliste Youri Vassiliev avec une photo de Rochal et de Geuzendam, le rédacteur en chef de New in Chess

Un hommage et une bio de l’arbitre Boris Pastovsky, qui le connaissait depuis… 52 ans !