Olympiades : l’EdF – équipe de France – en manque de jus

L’équipe de France (EdF) n’est-elle composée que de super techniciens sur la surface des 64 cases avant d’être une équipe animée d’un esprit, poussée par des entraînements et encouragée par un entraîneur gérant les joueurs et leur psychologie ? C’est du moins l’impression qu’une EdF sans jus a donnée lors des Olympiades d’Istanbul rassemblant 158 équipes chez les « mixtes ».

Voir le parcours de l’équipe échiquier par échiquier.

5 joueurs techniciens d’une surface de 64 cases carrées pour quelques milliers d’euros et deux semaines de travail avec un « entraîneur » en guise de contremaître, dans la pratique, un préparateur de variantes.

Avant la 11e et dernière ronde qui se joue dimanche à 10 h en direct quel est le bilan pour la France ? Bof. Un gâchis car ‘pas de Bacrot’. Une fatigue liée au National joué juste avant ? Un manque de forme ? Un manque d’énergie lié à la construction du capitanat vu par la FFE ? L’absence totale de préparation physique collective ?

Les Olympiades se jouent par équipes de 4 avec systématiquement un joueur au repos et le capitaine qui peut assister aux matches, en l’occurrence Pavel Tregoubov.

Cette équipe de 6 personnes doit vivre pratiquement deux semaines dans les meilleures conditions en oubliant le téléphone perso ou fédéral, les commentaires sur l’Internet et le qu’en dira-t-on. Pas simple à l’ère du Net.

Oublions en passant la franche rigolade des chiffres : L’EdF classée numéro 8 sur la ligne de départ et les clairons fédéraux sur la France numéro 3 mondiale en comptant les 10 meilleurs joueurs classés FIDE et voyons concrètement son parcours.

Cliquer ici pour le festin. Et sachez, en consultant le géocompteur en bas de  la colonne de droite, que l’EdF a régulièrement consulté ce blog d’Istanbul. Étonnant et détonant, non ?

P.S. : Après son match perdu contre la Roumanie à la 10e ronde, l’EdF rencontre l’Afrique du Sud. 4-0 est le score attendu. Qui fera nulle ? A moins que l’EdF nous fasse une redite d’un certain match de football?

Photo: © Davil Llada
Avant une partie, le capitaine A. Petrossian rassure Movsesian (qui ‘adoube’), échiquier n° 2 de l’équipe d’Arménie.

20120830_olympiad_llada_r3_017_movsesian.JPG

 QUELLES SONT LES ERREURS AVANT MÊME DE JOUER ?

1)  La composition même de l’équipe.
Avant la compétition, chaque fédération donne ses joueurs par ordre d’échiquier à l’organisation :
1. MVL ; 2. Fressinet ; 3. Édouard ; 4. Tkatchiev ; 5. Bauer. Autrement dit, si l’on sort un joueur, le suivant rentre dans l’équipe. Bauer ne peut ainsi jouer qu’au 4 et Tkatchiev au 3 au maximum, Fressinet au 1 ou 2 et MVL est vissé au 1… ou mis au repos.

Tkatchiev a des nerfs, plus d’expérience à haut niveau qu’Édouard. Cette stratégie est concurrentielle avec celle appliquée : Tkatchiev souvent avec les blancs et Bauer avec les noirs. Ce choix en lui-même est contestable.
Une autre stratégie, peut-être plus fantaisiste, consistait à descendre MVL au 2 ou 3 pour scorer et envoyer Fressinet au 1 et Tkatchiev au 3. Mais l’entraîneur a fait son menu, et nous, on regarde. Au final, l’EdF a soupé.

Photo: © Davil Llada
Une équipe de Russie unie : Kramnik (au 1) s’entretient avec Grichtchouk (au 2)
.

20120830_olympiad_llada_r3_grischul-kram.JPG

2)  L’entraînement, quel entraînement ?
Impasse totale fédérale sur ce plan. Pas d’entraînement avec les sélectionnés quelques mois voire quelques jours avant. Les Arméniens se réunissent bien longtemps à l’avance, font du sport pour forger un esprit d’équipe.

Certes, les dates du championnat de France ont été avancées à cause des Olympiades. Mais il serait temps de changer le mode de qualification et de penser en termes d’équipes.

Mais la FFE est libre de ses choix. Exemple : ne pas envoyer d’entraîneur pour les deux qualifiés du championnat du monde junior et les laisser prendre l’avion comme des grands. C’est vrai, ils ont presque 18 ans après tout !

3)  FFE + Étienne Bacrot sont dans un bateau. Bacrot tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste ?
Absence de l’un des meilleurs éléments, Étienne Bacrot. Les torts ne sont pas à 100 % d’un côté ou de l’autre, mais le résultat est que la France se prive de l’un de ses meilleurs joueurs pour un désaccord sur le cachet. La FFE ne se donne pas les conditions d’obtenir Bacrot et Étienne reste droit dans ses bottes.


Vu de l’étranger, quand on dit que les Français sont arrogants, le résultat pour l’équipe de France est probant : une balle tirée dans le pied et de facto un affaiblissement de l’équipe pour une bataille entre coqs ! Qui, au Bureau fédéral a cherché à sauver le soldat Bacrot ? Qui, hmm ?

Quand Joël Lautier mouillait le maillot en tant que joueur, il motivait les troupes, et cela changeait tout : il jouait pour son pays et la fédération trouvait les conditions pour attirer son numéro un. In memoriam.

4)  Avoir pris un capitaine joueur
On passera sur le fait que Tregoubov ne soit ni un boute-en-train ni un furax du fouet dans une équipe composée de forts egos, mais l’erreur de base est de le nommer. Rien de personnel, mais lui ou tout autre GMI compétiteur devrait être exclus du capitanat. Tregoubov joue des tournois en France et des tournois rapides.
Il est du même club que MVL. Il est salarié de la FFE. Et où sont les titres qu’il a ramenés pour les différentes équipes qu’il a suivies pour la FFE ? Tout ceci est très bien expliqué dans une conférence de presse de Mikhalchichine et d’Arshak Petrossian (capitaine de l’Arménie) que nous retranscrirons


LES ERREURS PENDANT LA COMPÉTITION

5)  Le respect du pitaine
Un bon entraîneur est respecté de ses joueurs ; il les respecte et ne les traite pas de « chèvre » comme le fit Lautier-l’entraîneur nommé par Moingt-président à l’adresse de Romain Édouard, néophyte à l’époque en EdF ; il s’emploie à distiller une bonne ambiance tout au long de cette compétition ; il s’applique à réparer les bleus à l’âme du « maillon faible temporaire » ; il ne favorise pas un joueur par rapport à un autre.

J’espère me tromper, mais devant les stratégies changeantes après les matches perdus, il semble bien que le capitaine n’ait pas décidé seul de la « compo ». D’autre part, il est possible qu’il ait eu du mal à résister aux différents egos.

6)  Les conséquences de la compo de l’EdF
1. MVL
a tenu son rang de leader. Il a toujours joué au 1 sauf, curieusement, le match contre la Finlande que la France n’a gagné que d’un point ! Et encore, la Finlande avait mis son meilleur joueur au repos ! Les résultats contre les tops joueurs sont éloquents : gain contre Topalov, nulle contre Adams puis Guelfand (pourtant ex-tueur de Grünfeld). Il se casse les dents en provoquant Ivan(tchouk) le Terrible sur une variante spécifique de la Najdorf et finit par perdre sur un plan génial de l’Ukrainien ouvrant la colonne g pour mater le roi de MVL.

Le jour où MVL se décidera à rejouer 1.e4 et les grandes variantes, il regagnera des points et oubliera son obsession de passer devant Bacrot au Elo. Et vice versa ?


2. Fressinet
avait pris 3 fois les noirs sur 5 (2 gains blancs, 1 noir !) mais il a explosé avec les blancs contre Sutovsky (Israël) à la 6e ronde. Bizarre pour un GMI aussi aguerri d’oublier de se développer contre un preneur d’initiative tel que Sutovsky.

A la 9e, il récidive avec les blancs contre la Roumanie (Parligras) où il oublie d’attaquer sur les cases noires et gambite un pion. Le GMI roumain se met en mode ordinateur, défend et 2e défaite de « chouchou FFE » avec les blancs ! Rarissime chez un joueur si solide et si entreprenant… et match perdu par l’EdF.

3. Édouard : l’alerte a débuté dès la 2e ronde contre le Pérou. Ce n’était pas le Pérou effectivement. Avec une poubelle, Édouard a bénéficié d’une répétition de la position dans une position complètement perdante.
Fébrile contre Short (Angleterre) avec les blancs ronde 4 et nulle.
Ronde 5 (Croatie) : la variante 3.e4 sur le gambit dame accepté de son adversaire n’est pas réputée pour donner un avantage tangible et durable pour jouer en équipe. Nulle en 27 coups et promenade forcée pour la ronde 6 où il est sorti par PV qui le met à l’amende.
Deux nulles avec les noirs où il subit activement avant de finir par s’incliner sur le même mode contre le Roumain Vajda qui le visse à la ronde 10. Cette défaite additionnée à celle de Fressinet renvoie la France, une ronde avant la fin, à la 38e place.
On attendait mieux du plus jeune joueur de l’équipe. Mais le pitaine a persisté. Il lui a fait confiance alors que les signes de fatigue et de difficulté s’accumulaient.

4. Tkatchiev
4 gains, 4 nulles. Le pitaine avait-il raison ? Oui et non. Oui pour le score, non car en pratique, il a souvent gagné des parties alors que l’EdF perdait. Pourtant, Vlad est terriblement efficace avec sa Catalane. Oui, c’est un lutteur et sa plus courte partie fait 34 coups ! Mais son expérience, le fait qu’il sache s’accrocher à mort quand il est moins bien ; qu’il connaisse le très haut niveau ; qu’il « masse » pendant des heures font de lui le joueur parfait et rassurant en équipe. Surtout depuis qu’il s’est débarrassé de ses démons. Il méritait donc de jouer plus haut d’entrée. L’erreur est de l’avoir mis au 4.

5. Bauer
Impossible de se préparer contre lui. Il déjoue les pronostics contre la Bulgarie, sacrifie une qualité pour embrouiller son adversaire, sauve la nulle… et donne la victoire à la France. Paraît que Danailov était vert de rage. Il perd contre Kozul (Croatie), mais donne la victoire à la France en battant le Cubain au 4. Son parcours est contrasté. Mais comme souvent en équipe, Christian joue comme il l’entend. Pas facile, surtout dans les circonstances qui ont précédé sa sélection. Et au 4, les équipes les plus fortes cherchent souvent à faire le point. Ainsi, le Russe Jakovenko (5e échiquier) a été sélectionné 8 fois en 10 rondes au 4e et a gagné 5 parties pour 3 nulles ! Beau rendement.