Les crêpes et la finale dame/tour

La recette est toujours la même dans les bons livres ou les bonnes revues. Une remarque «en passant» et c’est le flash-back, une pépite dans un compte rendu classique: Alexey Kouzmine nous conte ainsi dans le dernier New in Chess (1/2007, p. 77) la domination de Morozevitch à Pampelune, en décembre 2006: cinq victoires et deux nulles dont la position suivante… qu’il n’a su gagner.

Position Morozevitch – Yakovenko

1.Rf3? (gagnait 1.De5! Rg1 (1…Rg2 2.De1) 2.Rg3 Tg2+ 3.Rh3 Tf2 4.De1+ Tf1 5.Dg3+ Rh1 6.Dg2 mat), les noirs s’éclatent maintenant avec “la tour folle”:

1…Tf2+! 2.Re3 Te2+ 3.Rd3 Td2+ 4.Rxd2 pat!

La partie à rejouer sur internet

Ouh… le vilain. Kouzmine s’amuse, ne blâme pas Moroz… et se souvient: il était arrivé la même mésaventure à Karpov ET Kasparov… contre un programme spécialisé, dans les années 1980, à Amsterdam. Vous ne suivez pas ? C’est pourtant élémentaire, mon cher Watson ! Cela nous ramène à nos crêpes…

« Je ne comprends pas, Sherlock ».

– Suivez-moi. Nous sommes chez Jean-Pierre Mercier, dans les années 1980, à Paris. C’est lui l’importateur exclusif de ChessBase en France. Le logiciel allemand en est à ses tout débuts. Pour rire, ChessBase a commercialisé un petit programme: KDKT.
« Ce qui veut dire ? »
– Mon cher Watson, révisez vos cours d’allemand: Koenig, Dame, Koenig, Turm, autrement dit roi et dame contre roi et tour.
« Formidable! »
– Ce qui l’est moins, c’est que sieur Mercier a lancé un défi à quelques joueurs dont ce Bouton, vous connaissez?
« Oui, je crains qu’il en donne à tout le monde, le pauvre… »
– Eh bien, sont convoqués le maître des finales, Alain Villeneuve et plein d’autres joueurs. L’objectif est de vaincre KDKT… mais aussi de remporter un match de crêpes.

Villeneuve est déjà spécialiste des concours d’omelette norvégienne, Mercier fait confiance à son physique, Bouton fanfaronne avec son appétit.
« Et alors ? »
– Eh bien, je ne sais plus si c’était en même temps, mais seul le MI (à l’époque) Hebden gagnait facilement contre KDKT. Kosten n’y parvenait pas et Villeneuve avec difficulté. Le plus désopilant était ce curseur qui, à chaque mauvais coup de dame (ou de tour en défense), vous éloignait de l’algorithme de gain en vous indiquant ironiquement qu’il vous restait encore xx coups avant le mat alors que vous en étiez près du but. Aggraving, my dear…
« Et c’est donc ce qui est arrivé aux deux ‘K’ aussi ? »
– Eh oui… ‘My Great Predecessors’ se sont fait retourner comme des crêpes comme s’en amuse Kouzmine dans New in Chess.
« Quel humour britisho-russe! Mais le match de crêpes? »

– Ah oui… j’oubliais l’essentiel. Mercier a calé à 14, Bouton a voulu faire tapis avec Villeneuve, mais ce dernier a passé la surmultipliée à l’intox. Quand il a senti le coup de barre définitif de Bouton à 19, ils les a mangées deux par deux, pour l’écœurer. Résultat, il est monté à 21 avec une marge à 23. Décidément un très bon finisseur ce Villeneuve…

« Vous voulez dire un très bon finaliste, Sherlock »

– C’était élémentaire, mon cher Watson!