L’estomac de Larsen

Il n’y a qu’un estomac de Larsen. La FIDE nous annonce pourtant dix-neuf estomacs possédant un classement international. Mais un seul, appartenant au Danois Bent Larsen « mérite l’attention » selon l’expression technique consacrée. Estomac. Drôle de mot pour parler du jeu d’échecs. Et pourtant… C’est en relisant pour la énième fois Mes 50 meilleures parties qu’on approche les problèmes pratiques d’un GMI des années 1970 au faîte de sa gloire. Les changements fréquents de climat impliquent également un estomac à toute épreuve car la nourriture locale change également. Rien de bien nouveau sous le soleil si l’on peut dire. Les professionnels du XXIe siècle ont, peu ou prou les mêmes problèmes. Mais chez un émotif comme Larsen, un problème d’estomac, même temporaire, peut lui gâcher son tournoi. Et pourtant, le Larsen des années 1970 en avait de l’estomac ! Oser jouer 1.f4 à Boris Spassky et gagner, terroriser les Soviétiques, sacrifier la dame contre Petrossian, jouer plus de cent parties par an, trouver l’énergie pour nous raconter tout cela dans un livre à la jeunesse éternelle, chapeau bas ! Larsen avait un style énorme. Jouant à peu près tout, il avait le chic pour surclasser ses adversaires en milieu de jeu, sans compter sa science des finales.

Larsen a joué plusieurs fois en France. Et la dernière fois, il me semble, c’est à Cannes dans un match contre les jeunes générations. Avec une certaine coquetterie, Larsen entreprit de parler français, une langue qu’il parlait assez bien pour quelqu’un qui manque absolument de pratique. Mais Larsen est ainsi : il ne manque jamais d’estomac et adore les défis ! Nous nous retrouvâmes quelques années plus tard, mais sans nous voir, quand j’eus l’idée d’éditer pour une revue dans laquelle je travaillais des parties qu’il commentait. Comme un supplément de Mes 50 meilleures parties à la différence que Larsen osait encore : il analysait également les parties d’autres joueurs, mêlant souvenirs et pédagogie avec toujours cette fraîcheur dans les commentaires. Avec Tartacover, je considère que c’est le meilleur commentateur au monde. Si vous n’êtes pas d’accord, feuilletez ses livres et vous verrez. Et si ce débat ne vous intéresse pas, pensez quand même à Larsen le jour où vous aurez un problème d’estomac dans un tournoi. Enfin, si tout cela vous paraît futile, régalez-vous quand même avec cette partie où Larsen a sacrifié sa dame contre Petrossian.

 

Photo : © www.bent-larsen.com


B .Larsen – T. Petrossian
Défense Sicilienne, Santa Monica 1966
 
1.e4 c5 2.Cf3 Cc6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 g6 5.Fe3 Fg7 6.c4 Cf6 7.Cc3 Cg4 8.Dxg4 Cxd4 9.Dd1 Ce6 10.Dd2 d6 11.Fe2 Fd7 12.O-O O-O 13.Tad1 Fc6 14.Cd5 Te8 15.f4 Cc7 16.f5 Ca6 17.Fg4 Cc5 18.fxg6 hxg6 19.Df2 Tf8 20.e5 Fxe5 21.Dh4 Fxd5 22.Txd5 e6 23.Tf3 Ff6 24.Dh6 Fg7 25.Dxg6!! Cf4 26.Txf4 fxg6 27.Fe6+ Tf7 28.Txf7 Rh8 29.Tg5 b5 30.Tg3 1-0