Mémorial Alekhine : du sang et des larmes en première ronde

En ce beau dimanche ensoleillé, il fallait attendre trente minutes pour pénétrer dans la tente puis trente autres pour accéder à la salle de jeu ; éclairée par des échiquiers haute définition, on n’entend même pas le gazouillis des commentateurs en trois langues. Le président de la FFE Diego Salazar a lancé la ronde en jouant le premier coup d’Anand en présence du président de la FIDE, l’ami Kirsan Ilioumjinov.

Seul le bruit permanent et persistant de la ventilation fait son œuvre. Nous sommes à Paris, près des quais de la Seine et un pin-pon se signale de temps à autre. Ce dimanche 21 avril était particulier : des manifestants battaient les pavés de Paris, les uns pour le mariage pour tous, les autres contre.

2013_Alekhine_entree_ronde1.JPGMais ici dans le Carré du Sanglier, c’est Gens Una Sumus… Ce petit coin du jardin des Tuileries accueille régulièrement des manifestations culturelles dans des tentes de luxe montées pour la circonstance.

Sur l’échiquier, pour cette première ronde, il y a eu du  sang. Du sang et des larmes. Le champion du monde Anand a perdu (avec les blancs !) contre un vieil adversaire coriace, Mickey Adams. Cette longue partie se termine par un classique : tour contre pions g et h pas assez avancés, position issue d’une finale de tours donnée comme perdante par Pavel Tregoubov.

Ding Liren-Aronian : une partie dingue et digne d’Alekhine ?
Le gros z’Elo qui a mordu la poussière dans une partie fantastique est Aronian. Le Chinois Ding Liren a sacrifié un fou et avec une tour en moins, il a eu une attaque de mat ! Il faut dire qu’Aronian jouait resserré. De plus, il a échangé son fou de cases noires, les laissant pour la vie à son adversaire. Épine supplémentaire dans sa position avec un pion blanc en pion d6. En voyant ce troc FxCd6, Karpov et Toukmakov ont sursauté dans la salle de presse : « Stra’né » a murmuré Karpov. Traduction : j’aurais jamais fait ça.

karpov_toukmakov_strane.JPGÉtrange. Bizarre, vous avez dit bizarre mon cousin ? Aronian, sûrement écœuré, n’est pas venu à la conférence de presse. Le Chinois, jeune et très timide, parlait d’une voix à peine audible. Mais il a envoyé des variantes hallucinantes à toute blinde sur le ChessBase de démonstration !

Portrait du Chinois sur Whychess.com en français

Svidler-Guelfand : body language et prépas
Ce duel a ressemblé à un jeu tactique flamboyant. 2 pièces mineures pour Svidler contre une tour et un jeu actif pour Guelfand. Mais je connais le langage du corps de mon Boris, et c’était tout préparé ; idem pour Svidler qui fait les cent pas dans la salle de jeu quand il connaît la position ou qu’il est en confiance. Guelfand n’a jamais été en danger. Nulle de combat.

Vachier-Lagrave–Fressinet : nulle assez rapide
MVL a répété ce qu’il a dit sur son compte twitter. Son adversaire s’est bien défendu et il a l’impression qu’il aurait pu lui poser plus de problèmes. Grichtchouk connaissait la théorie par cœur de cette partie. Commentant en anglais cette partie, il a feint de ne plus s’en souvenir avant de balancer a tempo, avant qu’il ne soit joué « le coup de Leko » (Df5) en expliquant dans son anglais scolaire que sa mémoire « le trahissait ».

Kramnik_texto.JPGKramnik-Vitiougov : je retiens la Réti
Kramnik a torturé des heures son compatriote Vitiougov : « J’avais repéré qu’il avait des problèmes sur la Réti et qu’il ne l’avait pas bien traitée. J’ai décidé de jouer calme pour cette première partie et cela a marché. »

L’explication est modeste et pragmatique. Le massage case par case fut une démonstration horrible à soutenir en défense.
A peine la conférence de presse débutait avec Kramnik seul que ce dernier recevait un texto. Pas le temps de répondre, les flashes crépitaient et il « refaisait le match », appuyé par quelques questions.

Les perdants ne sont pas venus affronter les journalistes.

Commentaires gratuits, blitz, lymphatiques ou hilarants.
Quand Grichtchouk parle en anglais, il ne donne pratiquement aucune variante, fait toujours celui qui n’est pas sûr de l’évaluation de la position. En revanche, on sait ce qu’il vient de lire : un article sur les peurs des grands sportifs. Pour le tennisman Andy Murray, il nous apprend que c’est les lapins et ça lui pose un problème quand il repère un spectateur avec une casquette avec un lapin par exemple.

On lui demande ce qu’il pense de la nouvelle coupe de cheveux de Boris Guelfand. Sais pas, mais il saute sur l’occasion pour parler des dreadlocks (cadenettes en bon français) du GMI Grandelius tout en se rappelant ses coupes hirsutes ou autres. Les amateurs du Canal Saint Martin (Amarger, Le Huec et alter) l’attendront à la sortie pour le féliciter… ils se refaisaient les commentaires comme on se re-raconte un bon sketch de Coluche !

Sur le canal russe, on est… russe. Sosonko envoie de la variante et des anecdotes sur les champions soviétiques. Le commentateur russe Mark débite en blitz de la variante et des anecdotes. C’est un trentenaire joyeux qui fait le Monsieur Loyal dans les conférences de presse d’après partie.

Sur le canal français, on s’adresse au public comme si c’était des débutants. A vrai dire les remarques du GMI Pelletier et du MI Mullon sont pédagogiques, mais pour un tournoi de ce calibre, c’est un peu soporifique à mon goût et ça manque d’histoires sur les joueurs. Peu de variantes et beaucoup de principes généraux.

A la décharge de tous (les Français sont installés devant la foule, les autres dans des cabines), suivre cinq parties de ce niveau est épuisant. Les pauses sont nombreuses. Cela fait du bien aussi aux spectateurs qui peuvent passer d’un canal à l’autre à condition de maîtriser la langue. Les casques sont prêtés gratuitement sans caution. Rarement vu dans un tournoi d’échecs en France !

Appariements 2e ronde
(officiels selon un site russe. Voir tous les appariements ici sur chess-news.ru !)
*:-S Inquiétude

Fressinet-Guelfand
Adams-Svidler
Vitiougov-Anand
Aronian-Kramnik
Vachier-Lagrave–Ding Liren

Quelques gazouillis en direct pendant la 2e ronde sur le compte twitter Echecs64

entre_concorde.JPGComment venir au Mémorial Alekhine
Métro Concorde (ligne 1, 8, 12)
Aller vers l’obélisque
Entrer dans le jardin des Tuileries
Prendre en biais tout de suite à droite côté Seine
Vous verrez une grande bâche blanche
puis a l’entrée deux colonnes avec la tête d’Alekhine.
C’est là, et paraît que ça s’appelle “Carré du Sanglier”

Entrée gratuite
Il y a eu 30 min de queue dimanche
puis queue de nouveau pour rentrer dans la salle (200 places)
Rondes à 14 h tous les jours jusqu’à jeudi.
Ensuite les 4 dernières rondes se jouent à Saint Pétersbourg.