Décès de Sylvain Zinser

ZinserC’est en voulant faire le 11 février au soir une démonstration des élucubrations de mon compte Twitter dont je venais de me rappeler le mot de passe que la nouvelle m’est tombée sur la tête : un tweet  d’Europe Echecs annonçait le décès de Sylvain Zinser, l’un des piliers historiques d’EE !

La nouvelle est tombée le 11 février. Sylvain est décédé le 10 février. Il avait 76 ans. Tous les lecteurs d’Europe Échecs connaissent son nom et sa plume. Peu l’ont rencontré ou vu.
Portrait et hommage perso de ce monument des échecs français avec un hommage de Simone Marfisi dans les commentaires.

La suite ? Cliquer ligne suivante (Photos : R. Lecomte)

Sylvain le joueur
Avant d’être une bête de travail pour celle qu’il appelait « la revue », Sylvain a participé à de nombreux championnats de France, tournois fermés et a représenté la France aux Olympiades. Et puis un jour, il a décidé de rester à Mulhouse, avenue du président Kennedy ; cette adresse postale était présente dans tous les numéros d’Europe Échecs jusque dans les années 1990.

Monsieur Zinser, rédacteur en chef
A mes débuts, dans les années 1975-1976, en rejouant l’une de mes parties de patate, je suis tombé sur une variante avec une combinaison. Ni une ni deux, je décidai d’envoyer la combinaison à Mat, la revue (éphémère) en couleurs consacrée aux jeunes, éditée par EE et à laquelle j’étais abonné.

« Monsieur Zinser » me répondit… en la publiant. Je me souviens encore de la réaction du dirigeant de mon club, M. Cotting, qui me reprocha que le village dans lequel j’habitais ait été mentionné avec mon nom plutôt que le nom de mon club (Lésigny) que j’avais pourtant mentionné sur la lettre.
Voici le premier contact avec Sylvain Zinser le rédacteur. Bien sûr, chaque mois, j’apprenais l’histoire des échecs avec ses portraits des joueurs du passé, ses analyses et les résumés de tournois dans « Mondialement vôtre ».

Sylvain n’était pas encore aux commandes de la rubrique phare « Faites vous la main », une planche d’une dizaine de diagrammes avec des combinaisons à résoudre et une étude pour finir. Albéric O’Kelly de Galway (1911-1980) s’en occupait, mais Sylvain en prit le relais pendant pratiquement vingt ans.

A vrai dire, EE était à l’époque une revue en avance sur son temps, adepte forcée de la décentralisation : les collaborateurs-parties formaient le tout de ce mensuel. Basée à Besançon où habitait son propriétaire M. Raoul Bertolo, tous ses collaborateurs étaient externes et tout se passait… par courrier. Seule Simone Marfisi secondait in situ M. Bertolo. Et Sylvain était en contact régulier avec Mme Marfisi qui resta également fidèle à EE jusqu’à sa retraite en 2005.

SZ, le dessinateur
Ces initiales, SZ, faisaient penser au coup d’épée de Zorro. Mais il s’agissait d’un coup de crayon bien personnel. Vous l’aurez compris, aux échecs comme ailleurs, Sylvain Zinser était un autodidacte. Il croquait les portraits de grands maîtres à partir de photos ou inventait carrément des bandes dessinées « échecs » dans Mat !, la revue pour les jeunes lancée par Europe Échecs avec, entre autres, Daniel Joffart, Alain Biaux et Jean-Claude Letzelter comme collaborateurs. Il fallait bien gérer la pénurie de photos comblée par la suite par le spécialiste des échecs à l’Agence France Presse, Roland Lecomte.

SZ polyglotte
Sylvain s’était mis à apprendre les langues. Seul. Comment ? Je l’ignore. Mais il bûchait les livres et à ma connaissance, connaissait l’anglais – l’allemand bien sûr –, l’italien, l’espagnol, le russe, le croate et en 2000 et s’était mis au japonais ou au chinois je ne sais plus. Et j’en oublie sûrement.

Sylvain chroniqueur
Si EE était un peu comme son enfant et aussi son gagne-pain après de nombreuses années de quasi bénévolat, sa rubrique pour les « DNA » – Les Dernières Nouvelles d’Alsace – était sa marotte. Elle lui permettait de garder le contact avec les échecs alsaciens. Membre fondateur du club de Mulhouse en 1971 (lire l’article sur le site du club), il ne ratait jamais une occasion de porter la bonne parole des échecs au niveau local. Et comme chacun sait, le niveau et l’engouement des échecs en Alsace n’ont jamais baissé au cours des quarante dernières années.

Mon premier Sylvain
La première fois que l’on voit une icône, on est déçu : elle est humaine. Sylvain n’était pas un intouchable. En arrivant sur le quai de gare de Besançon dans les années 1980, je fus reçu par M. Bertolo et Zinser. Déjeuner à la gare. Nappe à carreaux. On me proposait de prendre du galon pour écrire des articles, mais il fallait marcher sur les plates-bandes de mon pote Pierre Nolot.
Aller-retour dans la journée à une époque où le TGV n’était pas en service sur « Bezak ». Sylvain avait fait le déplacement spécialement de Mulhouse.
Grandiose et exceptionnel car il se déplaçait rarement. Combien de fois « la revue » a annoncé les problèmes de santé de son collaborateur mythique au point d’affoler les lecteurs. Malgré son surpoids, son diabète, ses dixièmes à son œil qui partaient par paquets, le Sylvain était toujours au rendez-vous et travaillait encore et encore.

Mon deuxième Sylvain
Arrivé à EE en 1997, cette fois dans les chaussons de rédacteur en chef une fois que Bachar Kouatly eut racheté la revue à Jean-Claude et Nicky Fasquelle via sa société Échecs Promotion Organisation (EPO), j’eus le bonheur de travailler avec Sylvain. En ce premier jour, ce premier contact, je me suis souvenu du rédacteur en chef qui avait publié le diagramme d
’un ado de Seine-et-Marne. Mais il fallait travailler. Que dire, sauver la revue qui avait perdu des lecteurs par centaines.
Sylvain écrivait vite. Sylvain écrivait lisse. Sylvain était à l’heure. Sylvain écrivait au cordeau, il ne débordait jamais. Quand je lui demandai d’assumer l’éditorial, il m’appelait après s’être assuré que je l’avais lu. Sa phrase fétiche « Je crois que ce n’est pas mal. » nous régalait avec François Chevaldonnet à la maquette. Les lecteurs l’adoraient.

Plus de vingt ans nous séparaient, il fallait peu de mots pour que l’on se mette d’accord pour remplir « Le Petit Cahier », cette partie historique central du journal dont il s’occupait presque essentiellement. J’appuyais sur la touche « Marshall » en demandant un angle spécial sur ce joueur de génie. Sylvain me sortait l’article dans les deux jours.
Je demandais un « Capablanca » surtout pas sous l’angle du diplomate joli cœur ou « chess machine » et Sylvain me trouvait une référence ou une interprétation de son cru. Quel phénomène !

Mon troisième Sylvain
Mais Sylvain Zinser restait toujours à Mulhouse en dehors de quelques réunions de travail spécifiques. Un jour, avec Bachar, nous lui rendîmes visite et j’eus la chance de faire connaissance avec sa mère, une femme au caractère bien trempé. Et rendez-vous fut pris en retour pour un dîner dans un bon restaurant de Besançon. Sylvain honora ce « match-retour ». Enfin les anecdotes pleuvaient sur les échecs français des années 1960 et 1970 !
Ses heures de gloire furent naturellement les tournois organisés à Monaco par EE, l’Olympiade de Nice en 1974 et l’Olympiade de La Havane en 1966.
Pointe finale : je ne sais plus qui avait réussi à convaincre – en peu de temps – Sylvain à se mettre à l’Internet. Il avait rajeuni et jouait même en direct malgré sa vue défaillante en pestant contre la souris. Il se tenait au courant des nouvelles, lisait et relisait d’un point de vue professionnel le site !

La retraite, un article en 2007 sur ce blog… et l’ombre
Quand Sylvain dut prendre sa retraite un ou deux ans avant mon départ d’EE (en 2002), le décrochage fut difficile et il écrivait de temps à autre pour EE-le site. En 2007, suite à la maladie de Fidel Castro (serrant la main à Sylvain, photo publiée dans Combat), je décidai de reprendre contact avec lui afin qu’il raconte tout ce qu’il pouvait et qu’il n’avait jamais pu dire ou écrire faute de place sur l’Olympiade la plus grandiose en terme de propagande, celle de La Havane 1966.

zinser,castroVictoire politique de Fidel, présence du Che et du « gringo » Fischer, ce championnat du monde des nations par équipes dépassait les 64 cases. Dans un long article documenté et vivant, Sylvain nous replongea dans une atmosphère d’un monde oublié : ceux qui avaient vécu cette période purent s’en réjouir, les autres virent l’histoire contemporaine en marche et réalisèrent peut-être les tensions du mariage parfois arrangé entre le communisme et le jeu d’échecs.

La maladie a gagné la partie
Avec tous ses pontages, son diabète, ses alertes, une vue quasi nulle et j’en passe, Sylvain Zinser était non seulement un lutteur mais une force de la nature. La maladie a fini par gagner la partie.

Qu’il soit remercié ici pour tout le bonheur qu’il a apporté à des milliers de lecteurs par ses écrits ou traductions. Sylvain n’a pas de descendant. Ou plutôt si : une « revue mondiale d’expression française » comme s’intitulait EE jadis. Et avec lui, le dernier pilier de la rédaction vient de tomber. Nous présentons nos condoléances à tous ses proches. Un grand monsieur des échecs est parti. C’est un triste jour…

La Havane 1966, Mat