Décès de Smyslov, Lilienthal, Campomanès et Feodor Skripchenko

Entre le 27 mars 2010 et le 8 mai 2010, quatre grandes figures des échecs internationaux sont décédées: l’ex-champion du monde Vassily Smylov à 89 ans, le grand maître hongrois Andor Lilienthal à 99 ans, l’ex-président de la FIDE Florencio Campomanès à 83 ans, et le Secrétaire général de la Fédération moldave, Feodor Skriptchenko (74 ans), le père de la championne d’échecs et de poker, Almira. Cliquer ligne suivante.

Vassily Smyslov (1921-2010)
Le dernier numéro de New In Chess lui consacre un long article et souligne à quel point son héritage sur le plan théorique et technique est sous-estimé. Son livre-monument 125 Selected Games est à (re?)lire: on entre dans les profondeurs de sa pensée… en spectateur réjoui. Smyslov faisait partie de ces ‘champions d’hiver’: il avait battu Botvinnik, mais la clause du match-revanche favorisait le travail analytique en laboratoire du père des échecs soviétiques qui regagna son titre. Smyslov a longtemps joué à haut niveau, et son dernier grand résultat fut d’atteindre les matches de candidats en 1985 pour jouer contre Kasparov à Vilnius après qu’il ait littéralement lessivé le Hongrois Ribli. Il avait… 64 ans.

Sa carrière en détail avec des parties sur Wikipedia (en anglais)

Andor Lilienthal (1911-2010)
Le plus vieux grand maître du monde sest éteint le 8 mai, trois jours après ses 99 ans! J’ai appris son décès dimanche 9 mai, en arrivant le matin pour jouer la dernière ronde de Nationale II, à Noisy-le-Grand. Mon coéquipier russe Evguény Podzniakov, l’avait appris sur des sites d’information russe. Plus vieux grand-maître vivant, ce joueur de légende avait battu Capablanca en sacrifiant sa dame. Je n’ai jamais considéré ce champion comme un vieil homme. Sa femme Olga a environ 35 ans de moins. Hormis les vieilles photos, impossible de se l’imaginer plus jeune, en pleine force de l’âge sur l’échiquier. Et pourtant, quelle classe, quelle allant, quelle jeunesse! Et puis cet œil malicieux faisait de lui un immense séducteur.
Lilienthal a séjourné à Paris de sorte qu’il parlait un peu le français; la dernière fois où je l’ai vu, c’était au championnat du monde entre Anand et Karpov, à Lausanne, en 1998. Pilier de la salle de presse, il analysait et y allait de son petit coup, toujours très profond et en montrant les cases plus que les variantes. Autant que je me souvienne, le président de la FIDE lui avait alloué une pension et Andor – André en France – était retourné vivre en Hongrie, le pays de ses parents. Depuis, il kibbitzait les grands événements comme l’Olympiade de Turin, en 2006.

Aperçu complet de sa carrière http://en.wikipedia.org/wiki/Andor_Lilienthal
Comment il a rencontré les plus grands (site en anglais de la revue russe ’64’)
Sa victoire contre Capablanca, à Hastings, en 1935.
Page de ChessBase avec de nombreuses photos

Feodor Skripchenko (1935-2010)
Le Secrétaire général de la Fédération de Moldavie est décédé le 8 mai également. Père de la championne Almira Skripchenko, organisateur de tournois, enthousiaste infatigable, l’article complet et touchant de ChessBase nous apprend qu’il était à l’origine de la variante …a6 de la Slave. Je ne sais plus à quelle occasion je l’avais entendu discuter avec enthousiasme du tournoi ’First Saturday’ en Hongrie: il disait qu’il avait soufflé l’idée à l’organisateur actuel, pensant que la régularité convenait aux joueurs d’échecs. M. Skriptchenko a perdu une longue bataille contre le cancer.

Florencio Campomanès (1927-2010)
Président de la FIDE de 1982 à 1995, ’Campo’ a eu ce coup de génie de comprendre qu’il fallait intégrer les petites fédérations et celles des pays émergents dans la grande famille des échecs. ‘Gens Una Sumus’. Mais à quel prix? Avec le système olympique, 1 pays égale une voix, il s’assurait ainsi de rester des années au pouvoir, le vote des Iles Vierges pesant aussi lourd que l’URSS… Diplomate, flatteur, il a eu la chance de vivre l’épopée des matches Karpov-Kasparov…. et d’interrompre le premier match, au prétexte que Karpov n’tait plus en état de jouer.

On ne saura jamais si Campo a été influencé ou s’il a pris cette décision seul. Mais dans ces années-là, le championnat du monde était la source principale de revenu de la FIDE. Et concrètement, cette décision a enrichi les deux K et la FIDE. La pub mondiale pour les échecs a gravé dans toutes les mémoires les noms de ces deux joueurs de 1984 à leur dernier match de 1990!

L’objectif de Campo était d’augmenter les pays membres, même s’ils n’étaient pas à jour de leur cotisation. Campo, c’était aussi les votes arrangés lors des élections pour la présidence de la FIDE. Il avait le don de s’en sortir; il a su discuter avec les Russes et dans une certaine mesure desserrer l’étau et leur faire comprendre que la FIDE n’était pas leur chose.

Ami de Karpov, nettement moins de Kasparov, il avait débuté en tant que maître aux Olympiades puis organisateur de tournois aux Philippines avec l’appui du dictateur Marcos et de sa femme. Ainsi, il avait ainsi invité Fischer pour des parties de démonstration. Il avait tenté le match Fischer-Karpov également. Préalablement, il y avait eu ce match énorme Karpov-Kortchnoï à Baguio en 1978 (lire de livre d’Edmondson et Tal) au retentissement international.

Campo, c’est l’arrêt de la cigarette dans les tournois, à l’orée des années 1990. C’est aussi, au fur et à mesure, l’inflation du classement Elo pour les forts joueurs.
Campo, c’est la baisse du niveau pour entrer dans le Elo international histoire de faire rentrer de l’argent dans les caisses. Il restait logique à l’effet de masse. Son credo était que chaque pays votant devait avoir au moins un joueur titré, d’où la création du titre de ’maître FIDE’.

Campo avait tout du politicien à la Nixon, mais il adorait les échecs et souriait à tous, surtout à ses ennemis. Il régalait la galerie de parties blitz contre les délégués. Ceci faisait partie de sa communication. Car Campo était fier avant tout. Avec les journalistes occidentaux, les rapports étaient toujours tendus. Tout comme dans les négociations, il ne voulait rien lâcher. Il fallait parfois passer par l’espagnol pour adoucir son anglais châtié et hautain. Voici pour la vison d’un ex-journaliste de l’Ouest habitué aux nombreuses manœuvres du ’client’ Campo.

On le croyait sorti quand Ilioumjinov a pris sa place, en 1995. Les débats ont tellement été houleux, les délégués criaient… et riaient. Pourquoi? Car cela se passait à…. Noisy-le-Grand. Et tous ‘entendaient’ noisy – bruyant en anglais. Iloumjinov a attendu quelque temps… et l’a réintégré. Tout comme Samaranch, lui laisser une parcelle de pouvoir et de représentation était mieux que de lui faire perdre la face… et de le rendre nuisible. L’enthousiasme ultime du vieux Philippin sera bêtement sanctionné par deux graves accidents de voiture en Afrique.

Enfin, le témoignage de Casto Abundo (fichier en .DOC) son aide de camp de toujours, sur le site de la FIDE, donne un éclairage de l’intérieur. C’est passionnant… et désolant.