Cappelle: un trou noir dans les règles

L’un des plus grands opens du monde se déroule à Cappelle-la-Grande, dans la banlieue de Dunkerque du 28 février au 7 mars. Cappelle fête sa 25e édition et tentera de battre des records. Pour la deuxième année consécutive, le GMI belge Luc Winants, sociétaire de Cappelle, commentera pour les spectateurs sur place la vingtaine de parties retransmises silencieusement sur la toile.
Avant de sortir les calculettes du classement Elo, du plus grand nombre de nations, de MI/GMI présents, de normes effectuées ou de mariages consécutifs postérieurs à ce tournoi, voici un ‘scoop’ en forme de devinette et enfoui depuis une quinzaine d’années dans la mémoire de l’arbitre Jean-Claude Templeur. Il a resurgi de sa boîte à souvenirs. Il concerne deux grands maîtres. C’est révolutionnaire. Et cela déclenche a tempo – enfin presque, car ce n’est pas évident –, une grosse marrade ‘dans les règles’ chez l’amateur…

Vous n’irez pas à Cappelle-la-Grande. Dommage. Le carillon sonne toujours plus de deux fois, mais le train-train des GMI, MI et amis entrant dans la salle constitue toujours une multitude discutant à qui mieux mieux. Immuable tournoi, organisateurs et équipes depuis vingt-cinq ans, donc. L’arbitre Jean-Claude Templeur est aux manettes de son système d’appariement ‘fort-faible accéléré’, une version échiquéenne soft de Un tramway nommé Désir. Objectif: favoriser les performances, sortir de la nasse, sortir de la masse. Vous perdez la première ronde contre un fort. Vous en avez un autre la ronde suivante. Vous perdez encore. Vous aimez cela, hein? Eh bien, paf! Un(e) autre se présente encore à vous. Bref, une prime à la forme et aussi une certaine philosophie du dépassement de soi avec son moi.

Salle5.JPGMais où est la devinette? Laissons maintenant la parole à JCT (Photo: Site de Cappelle)

« Comme arbitre, j’ai été témoin de pas mal de choses quant au comportement de la ‘gens echequus’. C’est pourtant un événement vieux d’une quinzaine d’années que j’ai retrouvé en mettant en ligne les parties des précédentes éditions sur le site de Cappelle qui me laissera finalement la plus forte impression.
Il peut intéresser les lecteurs de ton blog, mais il va te falloir de l’astuce pour régler un problème de taille: cette partie est techniquement ‘impubliable’.
Elle s’est jouée en 1994 à la ronde 7, au pied de la scène (donc deux adversaires solides, tous deux grands maîtres avec, à l’époque comme maintenant, un Elo moyen de 2450). Les noirs sont tombés au temps au 40e coup. Les joueurs ont signé leurs feuilles, puis ont quitté la salle. Comme cela m’arrivait parfois, j’ai voulu rentrer cette partie sur ChessBase pour le bulletin du tournoi et également par curiosité, connaissant les deux joueurs, très sympathiques par ailleurs.

Lorsque j’ai découvert la raison pour laquelle je ne pouvais le faire, je suis allé immédiatement trouvé les deux joueurs qui ont simultanément découvert le problème et ont manifesté la même mine déconfite (le mot est faible). Le résultat de la partie a été réglementairement maintenu, mais j’ai compris à l’époque que les deux adversaires ne souhaitaient pas une grande publicité sur cette histoire. Quinze ans après, j’hésite encore à indiquer leur nom.

Le fichier PGN ci joint, ouvert par Word, montre une partie de 40 coups, qui serait intéressante si elle était légale. Ouvert par Chessbase, la partie se réduit à 19 coups, les derniers étant farfelus.

À toi maintenant de résoudre l’énigme et le problème technique, si cela t’intéresse. »

En jouant la partie ‘à l’aveugle’, on ne remarque rien de particulier en dehors d’un début provocateur. Mais avec ChessBase…. Fiat lux! Que de temps à se casser la tête! Et vous? Voici la partie:

1. d4 Cf6 2. c4 c5 3. d5 Ce4 4. Dc2 Da5+ 5. Cd2 Cf6 6. Tb1 Dxa2 7. Cb3 Da4 8. Ta1 Db4+ 9. Fd2 Db6 10. Fa5 Dd6 11. e4 e5 12. dxe6 Dxe6 13. O-O-O Cc6 14. Fc3 d6 15. f4 Fd7 16. Cf3 O-O-O 17. Fd3 Cg4 18. The1 f6 19. h3 Ch6 20. e5 fxe5 21. fxe5 Cf7 22. exd6 Dxd6 23. Rb1 Dh6 24. Df2 Dh5 25. g4 Dh6 26. Cg1 Cg5 27. Ff5 Rc7 28. Txd7+ Txd7 29. h4 Te7 30. Txe7+ Fxe7 31. hxg5 Dd6 32. Fxg7 Tg8 33. Ff6 Fxf6 34. gxf6 Dxf6 35. Cxc5 Dd6 36. Ce2 b6 37. Ce6+ Rb8 38. Df4 Ce5 39. C2d4 Tc8 40. b3 1-0

JCT poursuit : « Quand c’est arrivé, Sylvie [sa femme, qui participe à l’organisation] avait assuré aux deux joueurs que nous ne diffuserions pas l’info. Nous avons donc été discrets durant quinze ans, c’est-à-dire une éternité. Est-ce que tout a une fin, même l’éternité? Je pense que la partie pourrait être mise en ligne à l’occasion de la vingt-cinquième édition; les initiales des joueurs devraient suffire. »

Cher JCT, merci de cette exclusivité mondiale sur Echecs64! Tu ne mas fourni les couleurs, mais je confirme: les pécheurs sont bien Saint Sol. et Saint Luk.

P.S. aux internautes: Rappelant à JCT une anecdote à propos de Kortchnoï qui demanda à l’arbitre s’il pouvait effectuer le petit roque alors que la case h1 était contrôlée par un fou, JCT nous fait part de ses connaissances en astronomie. Sa réponse a fusé dans le cyberespace: «La différence avec le cas Kortchnoï est qu’ils connaissaient parfaitement la règle, mais totalement absorbés par une position atypique et dénués de toute suspicion naturelle, ils ont tous deux allègrement traversé un magnifique trou noir.»