Ch’ui pas un imbécile… puisk ch’ui douanier !
Été 1995. La Mazda rouge à deux places est en roue libre. Elle m’emmène à Gausdal, en Norvège, près de Lillehammer. Baisse de régime après les sympathiques autoroutes allemandes où la « Libémobile » (ainsi nommée car un prud’homme gagné contre Libération peu de temps auparavant a été immédiatement ‘gambité’ dans l’achat de cette caisse, voir le détail en base de la page du lien) a pu faire exploser le compteur de vitesse. 15 heures de route dans les mains. Le Danemark défile encore. Une route interminable et pratiquement toute droite, hachée par des éoliennes qui font un bruit d’enfer. Au bout, enfin, un port. Embarquement pour la Norvège. Direction Kristiansand. Dans le coffre, une valise, un échiquier, pas mal de bouquins et aucune crème solaire. À l’arrivée, de longues heures après, le bateau accoste. Une palanquée de fjords m’attend avant d’atteindre mon but. Des routes en zigzag. Une vitesse terriblement limitée à 80 km/h. Des familles entières passent dans des voitures remplies. Des camionnettes, des camions. Un douanier m’a fait signe de me tenir à l’écart. C’est la ixième fois, et dans tous les pays. D’habitude, c’est à 90% pour voir une bagnole « de sport » décapotable. Pour le plaisir de l’œil plus que pour le délit de faciès. Mais cette fois, je ne le sens pas ce douanier. Rester zen malgré tout.
Il parle parfaitement anglais. Grand gaillard, visage lisse. Il se signe, mais attaque direct: « Quelle est la raison de votre voyage ? » – Un tournoi d’échecs à Lillehammer. « Montrez-moi votre jeu. » J’ouvre le coffre. Les livres d’échecs in English sont chamboulés. Mais ça a l’air trop parfait pour lui. Je pense alors au film Le Corniaud avec Bourvil et Louis de Funès. Mais le plus approprié, en l’espèce, est le sketch impayable de Fernand Raynaud : Chui pas un imbécile… puisque ch’ui douanier!
L’interrogatoire, car c’est bien de cela qu’il s’agit maintenant, tourne autour des 64 cases. Bizarre… Puis il lâche par surprise : « Qui est le meilleur joueur norvégien ? » – Agdestein. Le gars n’est pas encore convaincu car il m’achève par un : « Quelle était son autre profession auparavant ? » Je tombe presque à la renverse. Je commence presque à flipper, ne sachant pas dire en norvégien ‘je veux appeler mon avocat que je n’ai pas si vous me retenez 24h’, mais mes lèvres sortent alors: « Footballeur professionnel, gardien de but. » Le douanier norvégien s’illumine d’un coup. Grand sourire. Pas d’accolade mais un au revoir sympa que j’aperçois à peine. Et si je n’avais pu répondre ? Au bout que quelques kilomètres, j’ai remis pour la 200e fois Edith dans le mange-CD: « Moi j’essuie les verres au fond du café.. » Edith. Edith Piaf. C’était vraiment la loose ce voyage…
Quand je raconterais, quatre ans plus tard, cette anecdote à Agdestein après l’avoir interviewé pour Europe Échecs à Cappelle-la-Grande, il partira d’un grand éclat de rire. Mec célèbre. Célèbre et sympa avec ça.
Quelques photos d’Agdestein et un peu plus sur sa bio, sa femme, ses trois enfants, sa vie dans un article récent de ChessBase.com
Un peu comme s’il avait parlé de « passe décisive » à propos d’une action jouée à plus de 60 mètres des buts et avant que le ballon soit touché par d’autres joueurs avant d’entrer dans les buts !
Le douanier a montré clairement qu’il n’était pas un spécialiste de foot car si Simen Agdestein a bien été un footeux pro (international norvégien) il n’a jamais été gardien de but. Son poste était attaquant. Pour info il a participé à un France-Norvège (de mémoire au début des années 90).
Bien amicalement.
Christophe Guéneau