Décès de Nikola Spiridonov et Jean-Claude Fasquelle

Nikola Spiridonov, un grand entraîneur, est parti le 13 mars 2021. Il avait 83 ans. Arrivé en France fin 1989, « Spirou » comme on l’appelait en France, a contribué à former des jeunes dont certains sont devenus des stars : Bacrot, Vachier-Lagrave, Mazé. Tous trois lui ont d’ailleurs rendu hommage.


« A son arrivée ici, c’était très dur » raconte son compatriote Emil Bogdanov (né en 1936, arrivé peu de temps avant lui). « Il formait des jeunes dans un club parisien et dormait par terre. Cela a duré sept mois avant qu’il ne rejoigne Caïssa ». Leur rencontre ne datait pas d’hier, mais un jour Bogdanov, en route vers le coin des joueurs d’échecs du Jardin du Luxembourg, reconnaît la démarche comme ébrieuse de la personne devant lui, son dos courbé comme à l’accoutumée. Il l’interpelle : « Spiridonov ». L’homme se retourne. C’était lui ! Les deux s’étaient connus à Sofia dans leur jeunesse alors même que Spirou était quasi débutant, Bogdanov étant capitaine et entraîneur de l’équipe universitaire qui allait partir en 1957 au championnat du monde par équipes des moins de 26 ans.

Cette compétition rassemblait nombre « d’étudiants » souvent déjà professionnels et « tous les grands maîtres étaient déjà là : Spassky, Tal, Stein, Benko, Larsen, Olafsson, Lombardy » se souvient le capitaine Bogdanov. Avec la concurrence au sein de son propre pays, il finit par grimper les échelons, devient maître, intègre l’équipe olympique, mais ne deviendra champion de Bulgarie qu’une seule fois. Et puis c’est le grand saut dans l’inconnu : la France. Bien qu’entraîneur, il continue à jouer. Sur l’échiquier, Spiridonov était un personnage. Il fumait comme un pompier, jusqu’à quatre paquets par jour ! Très souvent en crise de temps, c’était un combattant. Le GMI Kogan se souvient d’une partie où il gaspille un avantage, Spirou revient dans la partie, il a un énorme avantage, Kogan propose nulle et, épuisé, Spiridonov accepte dans sa posture typique de repose ses deux épaules en arrière sur la chaise. A l’analyse ou après une partie gagnée (il avait horreur de perdre), il avait toujours son sourire en coin, singé comme une excuse.

Lutteur sur l’échiquier _ Nikola est devenu maître à 32 ans et grand maître à 41 ans _ il l’était tout autant avec ses élèves… mais dans un style à lui. On pourrait presque parler d’une « marque » Spiridonov. Il était doux, tranquille, ne s’énervait jamais, même devant les éventuelles énormités. Il écoutait.

Mazé ? Deux fois par semaine, l’élève mangeait des finales par séance de deux heures dès l’âge de onze ans… jusqu’au titre de grand maître. « Je me souviens, il avait des phrases-clés : deux tours en septième, tu peux aller manger un sandwich. Si tu connais toutes les finales de tours, tu gagneras les parties nulles et tu sauveras les parties perdantes. D’ailleurs on voit beaucoup cela dans le jeu de Maxime, il gagne beaucoup de finales qui ont l’air égales et il sauve beaucoup de poubelles. »

Mazé, pour qui Spiridonov était « mon père d’échecs » ajoute : « D’ailleurs, c’est lui qui a fait jouer la Gruenfeld à Maxime. » Quand le jeune Vachier-Lagrave était au club parisien des stars ‘NAO’ (supporté par la richissime Nahed Ojjeh), Spirou était l’un de ceux qui chapeautait également ce jeune en pleine explosion. Il voyait moins Bacrot, formaté avec succès par Dorfman, mais Bogdanov se souvient : « Il me disait, avec lui c’est très dur, il faut vraiment que je me prépare car quand on regarde une position, je ne suis pas sûr de lui apporter la bonne réponse. »

Alors, continue, Bogdanov, je lui ai donné un truc : ‘Commencez tous les deux et utilise son super niveau en tactique, Bacrot voyait très loin.’
Après toutes ces années, Nikola est revenu au pays en appliquant sa formule : il restait deux semaines dans la famille de l’élève à tout partager et donc à beaucoup travailler. C’est ainsi qu’une championne bulgare née en 2003 a raflé de nombreux titres chez les jeunes et est devenu maître FIDE féminin à neuf ans : Nurgyul Salimova est maître international depuis 2019. En 2018, au tournoi de Bayonne, elle s’est payée le scalp de 2 MI et 2GM dont Brochet, Prié et Le Roux. Elle s’est seulement inclinée contre son camarade de club et MI, le Châlonnais Paul Velten à la dernière ronde totalisant 6 points sur 7 !

Cette relation très forte avec ses élèves lui a permis de rafler plein de titres dans les championnats individuels chez les jeunes mais aussi par équipes. Avec les années, Spiridonov continuait de suivre les résultats des Vachier-Lagrave, Bacrot, Mazé et autres au plus haut niveau.

Il est décédé dans son pays d’origine et a été incinéré pour cause de covid. Ses cendres seront rapatriées et il reposera auprès de sa femme, dans la banlieue parisienne.

Nous présentons nos condoléances à son fils et à toute sa famille.

L’hommage de la FFE

L’hommage de la fédération bulgare (à traduire avec deepl.com)

Fiche Wikipedia de Spiridonov

Décès de Jean-Claude Fasquelle

L’éditeur Jean-Claude Fasquelle est décédé le même jour, le 13 mars 2021, à l’âge de 90 ans. Ce n’était pas un éditeur, c’était un immense éditeur. Sa carrière, son éclectisme, ses silences, sont décrits dans l’un des meilleurs articles publiés à la suite de son décès, celui du Point.

Mais quel rapport avec le jeu d’échecs ? Fasquelle s’intéressait au jeu _ comme à plein d’autres choses _ et il avait un assez bon niveau, environ 1700 Elo. C’est ainsi qu’il aida Europe Échecs dans les années 1980 à sortir de l’anonymat des abonnements alors que son fondateur, Raoul Bertolo, trimait avec Sylvain Zinser pour sortir un mensuel depuis les années 1960. Sa femme, Nicky, pétulante animatrice du Magazine Littéraire, avait l’expérience de la vente en kiosque. Fasquelle, plus tard, a racheté Europe Échecs et les années Kasparov, l’ont sorti du rouge.

A chaque fois que j’allais au Salon du Livre en tant que directeur de la collection ‘échecs’ des Éditions Payot, je passais dire bonjour au stand du Magazine Littéraire. Inévitablement, Nicky, l’œil perçant, affirmant chaque fois qu’elle était « nulle aux échecs » pour mieux m’embarquer dans sa combinaison, me demandait des nouvelles de la collection et du mensuel dont son mari avait délégué la gestion.
Plus tard, j’eus la chance de rencontrer deux fois ce très grand homme. Taillé comme un immense rugbyman, il s’interrompait lui-même en sachant parfaitement quelle serait la réponse.

Il avait par exemple, contre l’avis de son comité de lecture, imposé la demande de Brigitte Bardot d’un à-valoir (avance sur droits d’auteur) de cinq millions de francs (1 million d’€ de 2020!) sur sa biographie, Initiales B.B. La suite ? Réimpression immédiate et cinq cent mille exemplaires vendus !

Quand Virgnie Despentes fait parler le taiseux Fasquelle sur France Culture : cinq épisodes à écouter absolument.
Fiche Wikipedia de Jean-Claude Fasquelle