François Chevaldonnet 1950-2016

Blitz de Blanc-Mesnil, 1re journée du blitz, le 1er juin 2019. Conversation impromptue avec Bachar Kouatly, président fédéral et ancien gérant d’Europe Echecs : « Il paraît que François est mort. » François Chevaldonnet. Une semaine plus tard, après quelques difficiles recherches, je retrouve sa trace dans une revue ornithologique de Besançon. Il y était devenu spécialiste, entre autres, du « râle bleu », un oiseau migrateur « partiel ». Une fois de plus, il avait changé de vie. Son collègue et ami de la revue ornithologique m’annonce alors qu’il est décédé en décembre 2016. François était né le 22 juillet 1950 à Reims comme nous l’apprend sa fiche Wikipedia… polonaise !


Pour la plupart des licenciés d’aujourd’hui le champion de France 1976 n’est qu’un nom sur un palmarès (il remporta ses quatre parties dans le (rare) départage à 5). Il n’a cessé de démontrer le contraire sur l’échiquier et en dehors avant de nous quitter tous en décembre 2017.
Pourquoi donc Bachar me parle de « François » ? En 1997, quand Bachar rachète Europe Échecs, il m’embauche sur-le-champ rédacteur en chef. Le siège de la « revue mondiale d’expression française » est historiquement à Besançon… et François Chevaldonnet y habite. Il connaît bien Simone Marfisi, celle qui a suivi toute jeune le fondateur Bertolo. Simone, c’est le lien direct avec les abonnés, elle connaît par cœur les manettes de l’administratif et François est resté en contact avec elle.
Très vite, il s’intègre au journal… en tant que maquettiste, un nouveau métier qu’il apprend pratiquement seul… avec le mode d’emploi ! François Chevaldonnet, c’était ça : le modèle école d’ingénieurs années 1970 . Zéro tutoriel en ligne car inexistant _ l’internet grand public démarre en 1996-1997_ de la méthode, des heures et des heures de travail, et ran et ran et ran… avec le résultat à l’arrivée.
Quand tu arrives pour remonter un mensuel comme Europe Échecs qui perd des lecteurs et est financièrement à la dérive, un collaborateur qui comprend très vite, très bien ET est maître international qui s’intéresse à TOUS les aspects du jeu, qui a de plus un humour à froid un brin pervers, quoi demander de plus ?
François Chevaldonnet vivait, respirait les échecs. Passé par le rôle de chroniqueur à EE avec ses fameux articles techniques ou ceux consacrés aux études quand le fondateur Raoul Bertolo dirigeait le journal, François était aussi devenu « directeur technique national » quand Jean-Paul Touzé était secrétaire général de la FFE.
Il y produisait du contenu utile pour l’utilisateur journaliste de Libération que j’étais à cette époque. Oui, c’était un serviteur fidèle des échecs. Avec sa part d’ombre. Il plongeait régulièrement comme un mammifère marin. Profondément. Il disparaissait des 64 cases pendant quelques années sans que quiconque ne connaisse rien de sa vie… et revenait.
Car « Cheval », comme l’appelaient tous les joueurs, était un homme qui compartimentait. Mais dans ses années d’absence, son cérémonial quotidien et matinal ne changeait pas: direction le bar du coin. Achat de Libération pour la chronique tenue par Jean-Pierre Mercier et moi-même. Un café voire deux. Et la ou les cigarettes subséquentes.
« Un jour, j’ai calculé combien m’avait coûté de fumer. Je me suis arrêté quand j’ai vu que c’était une maison et un terrain » m’avait-il dit avec son rire saccadé, replié sur lui-même, se cachant la bouche de la main droite, le tout terminé parfois par une toux qui secouait légèrement sa barbe.
Ce côté secret l’amènera à bien s’entendre avec le plus grand collectionneur français de livres d’échecs, Jean Mennerat, un ancien résistant habitué à compartimenter…
Sur l’échiquier, François Chevaldonnet faisait partie de toute cette génération ouverte ou prolongée par Aldo Haïk : oui, les Français ne sont pas des « patates » et peuvent faire des normes de maître. Oui, la France peut produire des maîtres. Oui, la FFE peut envoyer des candidats maîtres derrière le rideau de fer. C’est ainsi que François avait rencontré en Bulgarie Nikolai Spiridonov, devenu des années plus tard entraîneur en France de dizaines de jeunes joueurs prometteurs.
Et à Besançon, François avait eu la chance d’en avoir un sous la main, à sa main : Édouard Bonnet. Ce nom ne vous dit sûrement rien. Ce fut pourtant le concurrent de Maxime Vachier-Lagrave à un époque où personne ne disait « aime-vé-elle », dans la catégorie des moins de 10 ans.
Vachier-Lagrave avait déjà une soif de vaincre. Son entraîneur Éric Birmingham, boostait son moral comme il l’avait fait pour Joël Lautier tout en essayant de le sortir de sa timidité. Et voir deux jeunes de dix ans jouer les grandes lignes, vouloir gagner à tout prix et jouer un cht de France surclassé, c’était impressionnant, comme dans cette partie où MVL a deux dames mais où Bonnet améliore son score personnel en le battant dans une partie folle alors que tous deux jouent déjà dans la catégorie juniors ! Voilà pour le côté « entraîneur »…
Le joueur Chevaldonnet avait un répertoire extrêmement bien huilé et diablement efficace. En partie sérieuse comme en blitz. Sa variante d’échange de l’Espagnole faisait des ravages. Il suivait le répertoire de Fischer : Najdorf et Est-Indienne et 1.e4. Et de temps à autre, il ressortait la variante 2…Cf6 de la Scandinave que lui avait inculquée l’ancien champion de France sur l’échiquier et premier grand maître français par correspondance et champion du monde par correspondance Volf Bergraser avec lequel il avait analysé à Toulouse.
Après les dures journées de travail à Europe Échecs, des blitz effrénés se déroulaient au Café du Théâtre avec les meilleurs blitzeurs de Besançon. François ne lâchait rien, même contre son « patron » Kouatly quand Bachar était sur place. C’était la guerre le soir sur l’échiquier et l’union le jour pour le journal.
Et puis un jour, ce fut la guerre tout court à Besançon. Il créa le club ABC tout en étant au club historique Tour Prends Garde ! Psychodrame, trahison, brouilles indélébiles, nouveaux élèves, une page se tournait. François partait pour une nouvelle vie, une part d’ombre avait resurgi, une part de lumière s’ouvrait.
Son départ d’EE ne se fit pas dans de bonnes conditions, tout comme le mien. Mais les souvenirs pour remonter le journal resteraient les plus forts. Le cérémonial au moment du « bouclage » était immuable : le premier qui passait par le pont Battant, achetait le poulet cuit plus le comté.
Après une vingtaine de minutes de marche en montée, nous étions « au bureau » dans les locaux d’EE, dans une HLM qui abritait le journal. La chasse aux fautes, « rajoute/enlève moi du texte », « il faut une photo, c’est plus clair », « je viens de boucler le petit cahier », « on a l’édito de Sylvain ? », le journal naissait sous nos yeux, en plein ‘zeitnot’ grâce aussi à tous les collaborateurs externes qui avaient envoyé leur copie à l’heure.
Comme tant d’autres joueurs de sa génération, Richard Goldenberg avec lequel il avait passé tant d’heures à analyser ou d’autres tels Jean-Paul Touzé et Bachar même, j’ai cherché à savoir à plusieurs reprises ce que François était devenu depuis 2003-2004, les années où nous nous étions perdus de vue. Aperçu par des amis communs à tel endroit dans « Bezak », il avait replongé dans l’anonymat, il les avait évités.
A partir de 2005, François avait rejoint en tant que bénévole la Ligue de Protection des Oiseaux de France-Comté (LPO). « François a contribué activement à l’amélioration des connaissances ornithologiques pour la LPO Franche-Comté à partir de l’année 2005, puis très activement de 2010 à 2016, son décès est intervenu fin d’année 2016, peu après la publication de l’article » nous dit-on dans cette revue à comité de lecture national. Il y était devenu, avec ses coauteurs, bénévole et ‘expert régional du râle d’eau’ suite à ses observations dès l’hiver 2012. L’article est passionnant dans le genre !
D’autres anecdotes pourraient être contées comme celle où je l’ai fréquenté pour la première fois. C’était au tournoi de Solignac dans l’abbaye des moines oblats. Le MI soviétique Zilber était de passage en France et était complètement givré. Il notait chaque coup avec un feutre de couleur différente, mais gagnait tout.
J’y étais descendu en 2CV avec Jean-Claude Moingt à qui je faisais réviser ses maths pour son examen d’infirmier. Cheval était avec son compère Dussol qui nous massacrait tous en blitz. Il faisait glisser ses tours sur les colonnes! Et elles s’arrêtaient toujours sur la case voulue par Dussol !
Oui à ces moments-là, François était détendu. Mais il vivait à fond ses passions et s’y investissait sans compter, sans jamais s’arrêter.
Adieu François !
L’article coécrit avec trois auteurs sur le râle bleu
Un témoignage d’Alain Villeneuve sur le championnat de France 1976 remporté par François.
L’hommage vidéo de l’un de ses élèves de ABC Échecs à Besançon, Luc Pitalllier