Karpov-Kasparov sur France 5
Un documentaire de 52 min est diffusé sur France 5 le jeudi 23 janvier à 21 h 35. C’est le premier de la série Duels. Duels n’est pas le fils illégitime du téléfilm de Spielberg où un homme est poursuivi par un poids lourd pendant 90 min, mais bien un résumé des matches de championnat du monde Karpov-Kasparov entre 1985 et 1990.
Résumé n’est pas vraiment le mot approprié. Le prisme de l’histoire est passé par là avec la chute du communisme et l’image des deux champions a été polie. Quelle est l’idée de la série Duels ? : « Il s’agit de portraits croisés de deux personnalités observées à travers le prisme de leur rivalité. Ce ne sont pas des ennemis par nature ou des guerriers dont le métier, l’engagement ou même l’Histoire rendraient inévitable la confrontation.
Mais ce sont des adversaires, des concurrents, qui ont parfois eu le même rêve, poursuivent en général le même but, mais que la vie, le tempérament, l’ambition et toute une série de ressorts intimes ont mis en situation d’affrontement. Leur rivalité (…) se fera à la fois révélatrice et amplificatrice de fractures et divisions déjà existantes dans la société. Signé : dossier de presse.
Les 17 prochains documentaires promettent avec Delon-Belmondo, Anquetil-Poulidor, Pétain-Blum, Picasso-Matisse, De Gaulle-Beuve Méry etc.
La première vertu de ce documentaire – et ce n’est pas une mince affaire –, est d’avoir réussi à faire parler LES DEUX champions SANS langue de bois. N’importe quelle personne qui ne sait pas jouer peut imaginer la somme de travail et les rivalités en coulisse lors d’un championnat du monde.
Et les joueurs d’échecs ? Ils sont comme les autres. Ils ont peut-être vu le déroulé des 100 et quelque parties, ce haut de l’iceberg. Ils ont cru comprendre. Mais « les deux K » avaient des d’années d’avance. Ils ont écrasé la concurrence et ont élevé leur niveau l’un l’autre. Sans un mot, et via des centaines d’heures d’affrontement, ils se connaissent mieux que leur femme respective. Kasparov : « J’ai vu, à l’expression de ses yeux, un instant après avoir joué, qu’il avait compris qu’il venait de rater un coup gagnant. »
De nombreux collaborateurs ou témoins des deux camps sont interrogés. Le fameux Nikitine parle aux caméras comme il l’avait écrit dans sa biographie sur Kasparov (Payot). Congédié par Karpov car il critiquait le fait que son patron ait cherché à contacter Bobby Fischer pour jouer un match, il s’était promis de se venger. Et c’est ainsi qu’il forma ce jeune homme d’un père juif (mort trop tôt) et d’une mère arménienne déniché dans la pétaudière de Bakou, loin, bien loin du tout-puissant comité des sports moscovite.
Les intervenants russes ont été interrogés par une équipe russe avec à quelques endroits, une traduction inappropriée (ex: « séance » mot russe désignant une « séance de parties simultanées »). Ils sont à l’aise et les questions ont été bien préparées.
Les images d’archives montrent à quel point les échecs étaient l’instrument sportif utilisé par la propagande soviétique pour démontrer la supériorité de ses théories sur le reste du monde. Oui, Kasparov et Karpov, tout comme leurs précédesseurs soviétiques dans les championnats du monde, jouaient dans des théâtres grandioses et bondés. Oui la théâtralité, le rite étaient en soi une propagande.
Jusqu’au jour où tout explosa. Jusqu’au jour où Kasparov fit voler en éclats ce décorum en s’adressant à la presse internationale suite à l’interruption du match de 1984, quelques longs mois avant l’arrivée de Gorbatchev.
Pour tous ceux qui n’ont pas suivi ces joutes ou n’ont jamais vu ces images, ce documentaire reconstitue le film de matches au sommet. Il dépasse le cadre des 64 cases, il préfigure le changement radical de cette Russie éternelle et une implosion de « l’Empire ». Dommage que la mère de Kasparov n’ait pas été interrogée ou plus probablement, ait refusé de l’être.
Mais qui a gagné la partie dans ce duel à distance où les deux champions ont joué le jeu du question-réponse ? Il semble que, comme sur l’échiquier, Kasparov a marqué les points dans la guerre médiatique (le score final de leurs rencontres est signalé dans le générique de fin) mais que Karpov est à la manœuvre et démontre d’une manière brillantissime et discrète sa compréhension du jeu et de ses enjeux.
A la fin du documentaire, Kasparov confie en effet que dans sa prison de Moscou (suite aux manifestations) il ne voulut pas croire que la revue d’échecs que lui faisait passer un gardien était un geste de Karpov. Il ne savait pas non plus que Karpov avait cherché à lui rendre visite et qu’on le lui avait interdit.
C’est alors que Kasparov, dont la modestie n’est pas la spécialité, s’est mis à respecter face caméra l’homme Karpov, au-delà des rivalités de champion, d’ex-champion et de caractères totalement opposés ; la grande force de Kasparov a toujours été de savoir analyser ses erreurs. Dans cette touche finale et humaine, Kasparov montre son vrai visage. Les deux K sont indissociables.
Extraits de toutes les vidéos de la série Duels
Présentation de France 5 avec dossier de presse téléchargeable.
Rediffusions : 28/01 à 23 h 50 et 3/02 à 5 h 40
En différé sur Internet (streaming) sur le site de France 5
Un quiz sur le site de France 5 a été mis en place à l’occasion de ce documentaire et un jeu en érable est en jeu (parrainage de la librairie spécialisée Variantes).
Duels (2013)
Auteurs : Frédéric Gazeau et Jean-Charles Deniau
Réalisateurs : Jean-Charles Deniau et Sergueï Kostine
Production : Roche Productions avec la participation de France Télévisions
Disponible en audiodescription
Les Français interrogés dans le documentaire : Éric Birmingham, Christophe Bouton, Pierre Nolot, Olivier Renet. La diffusion en avant-première a été organisée à l’Opéra comique. L’agent de Kasparov en France Dan-Antoine Blanc-Shapira était présent.
Le Tout-Paris du documentaire et de la production convié par France Télévisions était là. Le « cocktail dinatoire » de luxe était suivi d’une soirée avec un DJ et de la musique des années 1980.
J’adore jouer aux échecs, c’est vraiment génial et en plus c’est pour les intello 🙂