Décès de Michel Roethel

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Michel est décédé mercredi 10 novembre 2010 à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, à Paris. Il avait 84 ans. Parti pour un contrôle de routine, il n’est pas revenu. Pour les joueurs d’échecs, Michel était un ancien du championnat de France qui s’était remis à la compétition dans les années 1990. Il restait intarissable sur la vie des échecs des années 1950 et 1960, notamment avec les matches entre les clubs parisiens de Caïssa et de Rive Gauche.

Pour les collectionneurs des livres de Jules Verne, Michel Roethel était LE libraire spécialisé et expert assermenté près la Cour d’Appel de Paris. Et pour moi, il est l’un de mes meilleurs amis. Sa boutique rue Lagrange, toute proche de Notre-Dame, où l’on ne rentre que sur rendez-vous, attirait les curieux, les collectionneurs ou les amoureux du livre ancien, comme ce fut le cas, une fois, avec une visite impromptue du président Mitterrand en exercice, venu en voisin.

C’est avec une tristesse infinie que j’ai appris la nouvelle de sa femme Maxime Verron-Roethel, mercredi matin. Une cérémonie a eu lieu jeudi 18 novembre 2010 à 14 h 45 au Crématorium du Père-Lachaise.

L’homme, le professionnel, le joueur.

Hommage de Roland Lecomte, (texte à télécharger)
cliquer ligne suivante (photo: © Club de Saint-Mandé)

Condoléances à envoyer à:
Librairie Jules Verne/Maxime Verron-Roethel
7, rue Lagrange
75005 PARIS
Tél: 01 43 25 59 70

hommage de Roland Lecomte, texte à télécharger au bas de cette page.

Jeu de piste avec Michel Serrault
Très proche du libraire d’échecs Julien Guisle décédé en juin, Michel avait, sur le tard, totalement normalisé pour ne pas dire inventé le marché des livres de Jules Verne publiés avec les cartonnages Hetzel. Ses catalogues avant une vente publique étaient un régal de précision, de culture et d’humour. Ses ventes aux enchères étaient un spectacle: les vedettes étaient les livres rares et chers mais aussi l’expert Michel Roethel.

Pressenti par l’acteur Michel Serrault, Michel s’était retrouvé à Neuilly, nez à nez avec l’acteur après avoir sonné à la porte d’une maison dont il ignorait tout de l’occupant des lieux. Serrault souhaitait vendre sa collection pour s’acheter des arbres du Japon. Venu au départ pour une estimation de la collection, l’expert Roethel avait alors eu l’idée d’en faire une vente publique plutôt que de la racheter. Le prix de la vente tripla à Drouot par rapport à lestimation.

La vente est racontée dans un article de Libération, en 1996 et une présentation en vidéo PAYANTE (0,99 euro, mais visible gratuitement en image sans le son) dans une brève de France 3. Voilà où était aussi le génie de Michel: tout en humanité, sans jamais trahir son client ni sa ligne pour respecter sa réputation et son rôle d’expert. C’est ainsi qu’il avait également expertisé l’intégralité des livres d’échecs du champion André Muffang avant que cette collection ne soit dispersée à Drouot dans une vente aux enchères mémorable, en juin 1991.

Infatigable et infatigable professionnel
Comme aux échecs, Michel n’aimait pas perdre. Il ne cherchait que l’excellence dans sa profession. Quand on lui amenait un Jules Verne récupéré dans un grenier de famille, un simple regard lui suffisait pour l’évaluer. Il trouvait alors en blitz la formule pour ne pas blesser un interlocuteur pensant en tirer un bon prix. La qualité de la relation humaine passait le plus souvent avant la relation avec ses clients. Jusqu’au bout il aura travaillé, la nuit, le jour, entre deux rendez-vous, entre les insomnies, après une sieste. Il jouait même des tournois
chez Dédé Clauzel ou au championnat de Paris alors que son travail lui prenait beaucoup de temps. La dernière vente publique où il officia en tant qu’expert avec son épouse Maxime Verron-Roethel eut lieu à Drouot le 28 mars 2010

L’exposition des plus précieux exemplaires se déroula au marché des livres du Parc Georges Brassens, à Paris le 9 et 10 octobre 2010 et fit également forte impression!

Entre verniens et joueurs
À table, les conversations se déroulaient alternativement, mais le plus souvent simultanément, avec un échiquier, les mots croisés du Figaro (en apéritif prolongé), la ou les chroniques d’échecs de Libération en retard, celle (hebdomadaire) du Figaro et un dialogue de spécialistes avec le ou les invités/rendez-vous, les « verniens », évidemment. Et comme un parfait maître – de céans – il avait ce génie de faire rencontrer des gens de milieux tout à fait différents.

Un temps secrétaire du champion d’échecs Victor Kahn (le grand champion l’appelait tout le temps ‘Cocotte’), Michel avait mille anecdotes sorties des tournois qu’il avait joués ou de ses lectures – il était passionné de l’histoire du jeu d’échecs.

Un bon mot, un poème de Mallarmé, les dernières nouvelles ‘off’ du monde des 64 cases, et Michel m’apostrophait d’un « c’est prodigieux ». Sa culture était aussi étendue que son stock de livres ou sa compulsivité à rafler des lots qu’il accumulait sans les vendre, en attendant la bonne occasion. Bref, le vrai libraire.

La compétition: le retour
En 1988, à la faveur de la réédition en couleur aux éditions Neumann-Pauvert, de L’Analyse des échecs de Philidor, un tournoi informel de promotion fut organisé au cercle Caïssa, sous les auspices de Mme Chaudé. Parmi les invités figuraient Alain Ledoux, rédacteur en chef du magazine Jeux et Stratégie, Michel et moi-même en tant que corédacteur (avec Jean-Pierre Mercier) de la chronique quotidienne d’échecs dans Libération. Alain Ledoux, un bon joueur à 2000 Elo, se fit battre par Michel sans discussion dans une partie rapide. Qui était cet inconnu? De plus, il chambrait gentiment pendant les parties!

Ainsi naquit une amitié ponctuée de déjeuners hebdomadaires pendant de nombreuses années. À cette époque, nous étions voisins et à chaque retour de tournoi important, je devais lui montrer toutes mes parties. Jusqu’il y a quelques mois encore, Michel jouait une fois par semaine en blitz avec son compère, l’ancien diplomate, poète, et traducteur de poésie Jean Malaplate. Tout aussi accro, ce dernier jouait jusqu’à la limite, à deux doigts de louper le dernier RER.

Son retour à la compétition avait été marqué dans les années 1990 par une victoire sur le fort joueur Aurel qui n’avait pas compris, malgré le manque de connaissances dans les ouvertures de ce vrai-faux retraité, qu’il avait affaire à un ancien joueur de compétition. Quelques années plus tard, Aurel et Michel en avaient bien ri.

Dans les tournois d’André Clauzel à Paris, il avait retrouvé son vieux copain Pierre Weiss, disparu il y a quelques années. Et en novembre 2008, avec son Elo à 2000, il annulait contre le GMI Spiridonov (Elo 2350) dans un match de Nationale 4! (« J’étais gagnant contre Spiridounouille » fut son apostrophe avant de me montrer sa partie). Ses dernières parties furent jouées sous la bannière du club de Saint-Mandé. Très ami avec le président Jean Boggio (également trésorier actuel de la fédération), Michel prenait le taxi ou l’autobus pour aller jouer de temps à autre le samedi. Dans sa dernière partie de compétition, il fit une nulle facile et longue contre le journaliste Gérard Desportes (Elo 2031) en décembre 2009 dans un match SCPO-Saint-Mandé.

Cruciverbiste…
Lors du championnat de France 1999 de Besançon, Michel avait absolument tenu à jouer le tournoi Vétéran. Il avait joué le même championnat de France en… 1949 dans la catégorie ‘Promotion’. Ce tournoi Promotion à 10 joueurs avait été remporté par ce jeune de 23 ans avec 9 sur 9 à la surprise générale.

Revenir dans une ville où il avait été adopté par le crack César Boutteville dans le train du retour lui donnait autant de joie que de pincements au cœur. De mémorables discussions eurent lieu sur place avec le MI François Chevaldonnet. François était le maquettiste d’Europe Échecs, jen étais alors le rédacteur en chef. Et Michel tenait sa grille de mots croisés dans le mensuel! Ses zeitnots pour rendre la grille à temps étaient acrobatiques. Conséquence: François gagnait un cheveu blanc par mois, mais les grilles arrivaient sur le fax, grâce à sa femme Maxime, à la diligence et à la diplomatie de Simone Marfisi, d’Europe Échecs après moult négociations pour améliorer encore et encore les définitions. Quelques fidèles de la grille comme le MI Nicolas Giffard parvenaient à la résoudre au complet.

… mallarméen’…
Intarissable sur la poésie de Mallarmé (tout comme le GMI Éric Prié), un dîner eut lieu un soir à Port Marly, après une ronde du top 12 avec Éric, Michel et moi comme organisateur et… spectateur. Mallarmé n’est qu’un exemple car d’un adjectif, d’une formule à l’emporte-pièce, il caractérisait un auteur ou son œuvre. Ce n’était pas l’instinct du libraire qui parlait, mais aussi l’homme pétri de culture formé au grec et au latin.

et épicurien
La musique classique était aussi au programme de ses joies, tout comme les bons repas, excellent vin rouge oblige, ainsi que l’athlétisme, la boxe, le cyclisme et le rugby. Il connaissait des dizaines de nom de champions du passé, refaisait les combats de Marcel Cerdan, des courses de 1500 m ou des matches de rugby. Daniel Herrero lui avait d’ailleurs rendu visite quelques semaines avant son décès.

Pour tous ceux qui ne l’ont pas connu, Michel est un personnage d’une époque échiquéenne révolue mais avec la passion du jeu et de la culture du jeu d’échecs chevillées au corps. Comment comprendre un homme capable de vous raconter le ronde par ronde du tournoi AVRO de 1938 comme s’il avait été présent tout en suivant l’actualité? Pourquoi me demandait-il en extrême urgence une étude de Timman il y a à peine deux semaines, où les noirs, en défense, menacent mat en un à chaque coup: je dus passer par Alain Villeneuve pour retrouver la position!

Entre amateurs et ‘cracks’, se faisant des copains partout comme avec feu Jean-Christophe Basaille, l’arbitre à Besançon 1999, se gaussant de ses arnaques (« je lui ai fait ‘ein Schwindle’), il était très jeune d’esprit et ne lâchait jamais, se sortant toujours des situations délicates. C’est ce qui fit son succès avec sa librairie et avec une manière si personnelle et si humaine de la tenir. Sa femme Maxime a également le feu sacré “vernien”. Elle reprend le flambeau et connaît très bien le métier. Michel disparu, la librairie Jules Verne de la rue Lagrange n’est pas échec et mat.
Comme on se disait régulièrement: « Allez, salut ma vieille! »

Article de Libération (1996): Un Hetzel sinon rien!

Une vidéo de 2 min de France 3 (5/2/1996) consacrée à la vente Serrault à Drouot

Son portrait, sa profession, sa boutique dans l’Express (2005)

Son court portrait sur ce blog (avril 2009) faisant un lien sur un entretien passionnant présent dans dans le bulletin du club de Saint-Mandé qui lui rend un vibrant hommage.

Photo de Michel Roethel au milieu de ses livres et de sa boutique rue Lagrange dans Jules Verne News, un « blog d’informations et de récréation pour les fans et collectionneurs de Jules Verne ».

Hommage de Roland Lecomte rendu à Michel (avril 2011)