Allô, Larsen?

Tout comme Karpov, il ne faut jamais appeler Larsen avant midi. Etant donné que le nettoyeur du milieu de partie des années 1970 vit dans la banlieue de Buenos Aires, il fallait calculer. Les éditions Payot ont publié deux livres en français de l’immense Larsen: son inoubliable Mes 50 meilleures parties et Les coups de maître aux échecs.

Je l’ai contacté pour un troisième qui me trotte dans la tête depuis plus de cinq ans… J’espère pour Larsen et pour tous ceux qui apprécient son style inimitable de commentateur, que ce projet verra le jour.

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Copyright La Nación

Je suis tombé dans les clous du décalage horaire: à deux heures du matin heure de Paris, Larsen a répondu a tempo. Quelques secondes pour me replacer; la dernière fois que j’ai eu l’honneur de voir et de parler longuement avec ce champion très cultivé sur l’histoire des échecs, c’était à Cannes, en 1989. Il jouait le match des générations et avait barré la route 2-0 au jeune Lautier, alors en pleine ascension vers son titre de GMI.

Voir les parties ici

Nous étions dans une voiture et Larsen me parla sans relâche de ses relations avec la France, Europe Echecs, ‘et comment va Sylvain Zinser?’, les Olympiades, comment et pourquoi il comprenait un peu le français, le style des jeunes etc.

Dix-neuf ans plus tard, on a fait une version longue et longue distance: 52 minutes au compteur. Larsen veut me parler de parties qu’il a commentées pour une revue spécialisée danoise. Il les cherche «depuis plusieurs semaines» mais reconnaît qu’il ne s’y retrouve pas «dans son bazar». Et quand le sujet vient sur les contrats, Larsen skie. Comme sur l’échiquier, il vous surprend en plein milieu de partie, zappe en faisant un détour par 1910 avant de revenir en force. En attendant, vous êtes ’mat’.

«Tout le monde parle du match nul Lasker-Schlechter [1910]*, mais personne ne dit que dans le contrat du match, Schlechter devait gagner par deux points d’écart! Les vieux joueurs me racontaient cela quand j’étais en club, c’était en 1946. Personne ne le dit!»

Ses professeurs d’allemand et de français ne lui étaient pas sympathiques, «et cela a eu un effet négatif pour apprendre le français». Mais en bon Danois, Larsen parle et écrit l’allemand. La prime? Il parle couramment espagnol: il a vécu à Las Palmas des années avant de se retirer au nord de Buenos Aires pour y vivre avec sa femme argentine. Comme beaucoup de joueurs retraités de sa génération, Larsen «n’entend rien à l’informatique». Il reçoit les revues spécialisées européennes avec parfois 8 semaines de retard.

Et quand je mentionne l’inoubliable numéro de New in Chess (2/2008) sur la mort de Fischer, un silence glacial s’installe… Oops, quelle gaffe! Sorry Mister Larsen.
Je marmonne quelques trucs dans un acrobatique exercice de rattrapage aux branches, et Larsen finit par lâcher, sans rancune et candide: «Does it still exist?» [Le magazine existe-t-il encore?»]

[Lasker, alors champion du monde, était mené 1 à 0. Il remporta la 10e et dernière partie et annula le match.]

Voir un portrait émouvant (2004, en espagnol) dans La Nación.

Interview (allemand + anglais) très intéressante du champion sur le site de ChessBase

Lire les chroniques (sur papier) de Larsen en s’abonnant au mensuel allemand Kaissiber.