Décès du collectionneur, Jean Mennerat

Le plus grand collecteur français de livres d’échecs, le docteur Jean Mennerat s’est éteint le 21 septembre 2007. Il allait avoir 90 ans. M. Mennerat a survécu quelques mois à sa femme dont il s’occupait beaucoup.

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Pour la plupart des joueurs de compétition, M. Mennerat était un inconnu. Sur l’échiquier mondial des collectionneurs, il était une référence. M. Mennerat vivait dans un tout petit village du Doubs où il s’occupait amoureusement de sa collection, environ 27 500 livres (une revue complète par année comptant ‘un’ et les doubles ou rééditions n’étant pas comptés) dans toutes les langues…

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J’avais fait la connaissance de M. Mennerat lors de la vente aux enchères des livres d’André Muffang, en 1989, à Drouot. Il détestait les journalistes et m’avait envoyé bouler. Ce n’est que plus tard, en lui écrivant pour lui demander des références sur des livres d’échecs pour les éditions Payot que nous avons renoué des liens. Entre 1997 et 2002 lors de mon passage à Europe Échecs, nous déjeunions de temps à autre tous les trois, avec François Chevaldonnet, alors maquettiste à EE. M. Mennerat venait faire son marché à Besançon (80 km aller-retour!) et nous apportait de vieilles revues que François scannait pour tel ou tel portrait.
(ci-contre M. Mennerat en 2005 dans sa
bibliothèque).
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Lors du championnat de France 1999 à Besançon, M. Mennerat avait prêté certains de ses livres les plus précieux pour une exposition sur l’histoire. Il avait toute confiance en François Chevaldonnet et l’idée de fonder une bibliothèque où ses livres seraient accessibles au grand public commença ainsi à germer. Le projet avec la ville de Besançon n’eut pas de suite.

M. Mennerat et sa femme: des résistants

M. Mennerat n’avait pas bon caractère et était très méfiant. Des collectionneurs dont il considérait certains – et pas des moindres – comme des bandits ou des voleurs, et de tous ceux qui pourraient connaître son adresse. Cette méfiance, outre un trait de caractère peut-être inné, avait aussi été renforcée par ses activités de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale dans un réseau de contre-espionnage avec sa femme, à Paris.

En 1944, devant rencontrer l’un de ses contacts, il avait repéré une voiture louche – et rare à l’époque. Suspectant la milice, il avait passé son chemin sans broncher avec sa femme enceinte de leur fils aîné, mémorisant au passage le numéro de la voiture. Bien lui en prit: la gestapo l’attendait le soir même à son domicile, et le numéro était bien, selon la Résistance, une plaque de la Milice. Il se réfugia dans sa famille, dans le Doubs, à deux pas de son petit village qui abrita toute sa collection beaucoup plus tard.

Il restait néanmoins très pudique sur cette période de sa vie; j’avais eu M. Mennerat au téléphone avant les grandes vacances. En septembre, j’ai tenté sans succès de le joindre jusqu’au jour où je suis tombé par le plus grand des hasards sur sa belle-fille qui m’a annoncé la triste nouvelle et rapporté cette anecdote sur son passé de résistant. Une fois, il prit la plume dans la revue britannique Chess pour vilipender Alekhine qui donnait des séances de parties simultanées dans les territoires occupés au regard d’un Tartacover parachuté en France par les Anglais. M. Mennerat avait conservé de cette période de sa vie l’art du cloisonnement.

M. Mennerat et Chapais.

En 2005, je fis un reportage pour la revue néerlandaise en anglais New in Chess (5/2005) sur M. Mennerat. Il fallut naturellement quelques mois de négociation pour obtenir son accord. Ce fut la première et seule fois où je pénétrai dans le saint des saints. J’y allai en voiture avec Pierre Nolot, un ancien rédacteur en chef d’EE des années 1980 dont il fit la connaissance à cette occasion. Ce fut un périple pour retrouver le village (absent des cartes GPS!) et un plaisir de se revoir.

medium_20nov_002.jpgFrançois Chevaldonnet avait entre-temps disparu du monde des échecs… M. Mennerat me demandait régulièrement si j’avais de ses nouvelles. Dans sa maison impressionnante, des rayonnages, des livres accessibles avec une échelle, un rangement impeccable, une mémoire d’éléphant, des appareils pour mesurer l’hygrométrie, des livres sur la médecine dans les escaliers, des ordinateurs et une imprimante avec l’Internet dans son bureau du bas, un précieux rouleau à fiches répertoriant l’œuvre de sa vie, des loupes, son bureau du haut, c’était à tomber par terre!

M. Mennerat ne se contentait pas d’avoir la collectionnite. Il cherchait. Et pour chercher, il n’hésitait pas à se déplacer dans les bibliothèques… et se mettait à apprendre les langues. C’est ainsi qu’il apprit le néerlandais (quitte à se disputer avec un agent de la circulation pour une amende qu’il estimait injustifiée!), se mit à lire le polonais, en plus de l’allemand et de l’anglais qu’il savait déjà, et peut-être d’autres langues encore.

Il édita lui-même une brochure sur le Français Chapais, un spécialiste des fins de partie qui laissa un manuscrit difficile à déchiffrer. L’essentiel de ce mystère est bien raconté (et en français) sur le site de son ami, le collectionneur allemand Harald Ballo.

Un fonds Mennerat à Belfort ?

Après l’échec avec la mairie de Besançon, l’idée de laisser un jour, la collection entière à Belfort eut plus d’écho. Le testament de M. Mennerat irait dans ce sens à tel point que des contacts ont été pris avec la mairie de Belfort. Une délégation s’est déplacée au domicile de M. Mennerat fin octobre 2007 en présence de Jean-Paul Touzé, du club de Belfort, pour évaluer la quantité de livres: 425 mètres linéaire, soit environ 18 mètres cubes!

Ainsi, il y a de grandes chances que dans les mois et les années qui viennent, cette collection soit entièrement scannée, accessible par le Net et que le « Fonds Jean Mennerat » ou tout autre nom puisse continuer à vivre et à être enrichi. Belfort doit trouver un lieu, monter un projet et le financer.
Si ce projet voit le jour, merci Belfort, merci aux héritiers de M. Mennerat! Enfin une collection d’une telle ampleur et d’une telle valeur non vendue aux enchères et non dispersée. M. Mennerat ne voulait pas voir sa collection partir dans les limbes pas non plus que dans de bisontines mains. Rendez-vous dans quelques mois à Belfort pour plus de nouvelles sur cet éventuel centre, unique par son ampleur en Europe s’il voit le jour.