Trophée Villandry: victoire de Fressinet

Le Trophée Villandry promettait : Kortchnoï que je continue d’admirer, Fressinet dont l’optimisme et la force nerveuse me laissent pantois et Kosteniouk au jeu impressionnant, voilà une affiche prometteuse. Bien sûr, il y avait aussi la triple championne de France Scripchenko, mais pour cause de maternité récente, elle serait a priori moins affûtée. En réalité, la motivation de cette descente dans ce beau château était de vivre un moment magique dans un bel endroit ET d’assister à la conférence d’un descendant de Philidor, Nicolas Dupont Danican à Loches, à 57 km de Villandry le samedi matin à 10 h. Bon, départ le vendredi soir. Bien vu, la cérémonie d’ouverture entre VIP est superbe. Il y a même des gens du RAC d’Angleterre, le Royal Automobile Club.


L’ordonnateur de ce trophée est le maître des lieux et actuel propriétaire du château de Villandry, Henri Carvallo. Avec sa femme, il fait tourner cette entreprise culturelle avec 47 personnes, non loin des châteaux fameux d’Azay-le-Rideau et de tant d’autres. Le plus : c’est un bon joueur d’échecs (2156 FIDE et plus en blitz !). Au menu du soir : des tables rondes avec les 4 participants et tous les invités dans une salle du château au milieu de toiles de maîtres… L’apéro a été pianistique avec le GMI Apicella. Le digestif ? L’horrible pendule sortie des cartons par M. Carvallo. J’y passe en premier, le GMI Fontaine assure non sans mal le gain par la suite.

Mais l’arrivée à Villandry avait commencé par un coup dans le plexus. Alors que j’ouvre le coffre pour prendre mon baluchon, Laurent Vérat, le directeur général de la Fédé m’annonce le décès de Jean-Christophe Basaille, « tombé dans ses escaliers ». Basaille dirigeait la Nationale 1 puis ensuite le Top 16 depuis des années. J’y ai joué dans une autre vie. Il me livrait ses stats quand j’étais dans une revue mensuelle d’expression française… Sous la plume du monsieur classement Elo de la fédé, Charles-Henri Rouah, la FFE lui rend hommage sur son site. Salut l’artiste, on t’aimait bien !

La cadence : 2 parties de 20 min + 30 s/2 parties/2 blitz de 3 min + 2s en cas d’égalité.

Samedi 20 octobre : première demi-finale. Kosteniouk-Scripchenko. Les matches ne se jouent pas dans le château mais dans une salle proche. Une bâche blanche à l’extérieur est réservée pour les commentaires assurés en direct par le GMI Apicella. Kosteniouk, avec les blancs, joue une partie impressionnante et pleine de tension. Toutes ses pièces terminent sur le roi noir, le camp en second n’ayant pas réussi à trouver l’harmonie (c’est bien la première partie et non la seconde comme indiqué dans le fichier de la fédé). Scripchenko-Kosteniouk. Oops. Les noirs jouent une ligne sauvage dès l’ouverture. (1.e4 e5 2.Fc4 Cf6 3.d3 c6 4.Cf3 d5 5.Fb3 dxe4).

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Le roi noir est déroqué mais en finale, la paire de fous et la technique font le reste: les blancs n’ont rien et ne pourront gagner. Kosteniouk accroît son avantage systématiquement. Prise par le temps comme son adversaire, elle préfère prendre le perpétuel plutôt que de délivrer un mat. Avec la nulle, elle est qualifiée.
Voir l’interview en français d’Alexandra Kosteniouk sur TV Tours (descendre dans le menu à la date du 19/10/07).

Dimanche matin, chagrin « Tiens, j’ai vu Irène Polougäevsky, sa fille, en zappant sur lémission de Julien Courbet hier. » Du Vérat dans le texte version petit-déjeuner. « Ultimement » devrais‑je ajouter, nous avons tant répété ce week-end cet adverbe craquant, marque de fabrique du site de l’Échiquier niçois. Ce n’est pas sa fille, mais sa veuve, banane. Il était tard et Laurent avait pour excuse de ne pas la connaître. Triste histoire en vérité car vérification faite, Irène s’est fait arnaquer dans des proportions ahurissantes.

Fressinet-Kortchnoï : la boxe
Kortchnoï est applaudi devant une salle comble. Certes des licenciés de la ligue et d’autres comme les Manceaux Derouineau père et fils ou les Parisiens Metral et Derieux sont venus. Mais il y a aussi les curieux qui visitent le château et passent regarder des gens bizarres bouger des pièces sur un plateau avec une pendule et un échiquier mural.medium_Villandry_oct2007_035.jpg
Kortchnoï prend bien ses appuis pour franchir les trois marches. C’est une bête de scène. Petra, sa femme, est toujours aussi impeccable et fidèle au poste en tant que supportrice. Avec les noirs, Kortchnoï joue une ligne bizarre de la Française. Fressinet a joué juste en conservant l’espace et les pièces. Il massacre en 28 coups. Kortchnoï se refait une santé avec une barre de chocolats et envoie méchamment bouler un kibbitz venu mander un autographe.

Kortchnoï-Fressinet : la visse et la technique.
Le vieux lion a beau jouer vite, il n’obtient rien. Fressinet est proche de l’égalisation, mais Kortchnoï parvient à réorganiser son cavalier et son fou contre la paire de cavaliers en finale. Il passe de justesse et égalise. Départage en 3 min + 2 s à suivre.

Le départage : l’incident
On connaît Kortchnoï et son envie de massacrer les jeunes. Et quand il perd, il les insulte. « La dernière fois que j’ai battu Kortchnoï en semi-rapide, je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie pour ne pas me faire insulter » racontait Fressinet à un éminent membre de la fédé. La partie débute mal. Kortchnoï demande en bafouillant (en français) à l’arbitre s’il a les blancs. L’arbitre passe au rouge tomate et bredouille à son tour. Comme la précédente, Kortchnoï n’obtient rien de l’ouverture et cette fois, Fressinet non seulement égalise mais réussit à prendre l’avantage dans une finale de double tours. Kortchnoï en échange une. Ca blitze.

Un suspense transformé en interlude
En plein suspense, ce qui devrait fonctionner comme un système métrique se met en mode merdique. On le sait, le système de retransmission des parties de la fédé plante en blitz, mais il est gratuit… La position reste figée pour les spectateurs. Il n’y a pas l’interlude avec le train comme du temps de la télévision de papa.
On entend les clacs de la pendule pendant que dans la coulisse, Eric Mouret parvient à redonner la position. Encore quelques coups joués à toute blinde et Kortchnoï se lève : « I claim a draw ». Il demande la nulle en expliquant que s’il joue sa tour en a3, il y a 3 fois répétiti
on de position. Comment a-t-il fait pour défendre cela? Et comment parvient-il à compter une répétition à cette vitesse? Fascinant. Il a 100% raison sur la position… mais aussi 100% tort car cette règle ne s’applique pas en parties rapides.

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Fressinet se lève en regardant par terre de manière oblique, les mains écartées. On dirait du Pagnol: « I disagree ». L’arbitre est largué, il continue à parler en français à Kortchnoï. Les conciliabules commencent. Kortchnoï s’asseoit et annonce qu’il ne jouera pas la seconde partie si la nulle n’est pas décidée. Bon, on était dans un trophée « amical » avec échecs et musique et cela se termine comme un incident vu et revu entre dans un tournoi rapide entre deux joueurs lambda.
Bien sûr, ce n’est pas l’arbitre qui décide. Finalement, la nulle est annoncée. Ce n’est pas réglementaire mais on voit mal Kortchnoï reprendre l’avion…
Dans la partie suivante avec les blancs, Fressinet atomise Kortchnoï qui s’entête à jouer la même ligne de la Française. Tout est bien qui finit bien pour Fressinet, qualifié pour la finale.

Les mimiques de Kortchnoï, les nerfs de « la Fresse ».
Dans les blitz, Kortchnoï a déroulé tout son répertoire : frappe de la pendule, se toucher les ongles avec ses deux mains quand il a l’avantage, faire la moue avec les mains jointes sur la nuque en se reculant sur sa chaise quand son coup ne lui plaît pas, frapper des pieds, faire tomber son roi (en le remettant sur son temps), se racler la gorge sur le coup de l’adversaire. Ah ! quel métier.

Le problème, c’est que Fressinet ne ressent rien de ce cirque. Il n’a jamais gambergé de sa vie, et c’est probablement ce qui énerve Kortchnoï. Le seul tic du champion français qui peut trahir sa nervosité est son grattage de tête côté droit (avec la main droite car si c’était avec la gauche, on pourrait se poser des questions!) quand il hésite à jouer un coup.

La finale Fressinet-Kosteniouk
Autant tout avouer avant la garde à vue: je n’y étais pas, pris par un déplacement en Nationale III dans un bled charmant du nom d’Amilly. Fressinet a gagné, non sans mal. Le plus drôle, c’est que l’ombre de Kortchnoï et de Philidor a plané sur ce match. Fressinet gagne la première et s’est retrouvé dans une finale T+pion contre Tour+Fou à Kosteniouk dans la deuxième.
La championne a ramé pour gagner le pion (121e)
Et comme les deux finalistes s’étaient mis d’accord la veille pour ne pas appliquer la règle des répétitions de coups, Fressinet s’est en quelque sorte autocagoulé: il a défendu, défendu et a abandonné au 237e coup, Kosteniouk appliquant la méthode de Philidor pour gagner! Paraît que Fressinet aurait pu demander la nulle à l’arbitre et qu’il l’aurait accordée. Va savoir…
Grâce à cette victoire, Kosteniouk égalise. Elle se fera balayer 2-0 dans le départage. Fressinet remporte donc ce Trophée sympa et unique. Je n’avais jamais rien vu de tel en plus de 25 ans de balade dans les grands tournois.
 A suivre dans une prochaine note: l’exposé du descendant de Philidor.

Voir les albums du château et du Trophée en général: aller sur la colonne de droite, en bas. Bon voyage, le jardin du château vaut vraiment le détour!

Télécharger les parties (fichier PGN de la Fédération)
Villandry2007.pgn